mercredi 27 février 2013

Florian Zeller - La jouissance

Quand ton existence te semble parsemée d'amères désillusions, c'est bon signe  : tu es prêt à apprécier la littérature post moderne désabusée de ces bobos parisiens et un poil nombrilistes qui peupleront dans quelques semaines le Salon du Livre de Paris.



C'est dans ce contexte favorable que j'ai abordé la lecture de La Jouissance. Il faut avouer que la quatrième de couverture est aguicheuse. Jugez plutôt :
L'histoire commence là où toutes les histoires devraient se finir: dans un lit. Nicolas vit depuis deux ans avec Pauline, ce n'est donc pas la première fois qu'ils se retrouvent l'un en face de l'autre et qu'elle lui fait une sourire équivoque en lui prenant la main. Ce sont des gestes qu'ils connaissent des choses familières et rassurantes.
Ce jour-là, pourtant, quelque chose d'inédit se produit. Il est allongé sur le dos et Pauline, qui vient de retirer son soutien-gorge, ferme légèrement les yeux, comme elle a l'habitude de la faire quand le plaisir commence sa douce anesthésie du monde. Soudain, la couette se soulève, et une troisième tête apparaît.
 Mais si le programme est alléchant, c'est surtout parce que le roman aborde un thème universel : le couple (et son échec programmé dans la société du XXIème siècle). Au début du récit, Nicolas et Pauline sont ensemble depuis deux ans. Ils s'aiment mais Nicolas éprouve du désir pour d'autres femmes et redoute de "s'enfermer dans un monde qui serait celui de la jouissance dénuée d'excitation (celui du couple)". Pour Pauline, Nicolas incarne une joie de vivre qui la fait se sentir bien à ses côtés et elle s'imagine sans peine vieillir avec lui.

En parallèle du délitement progressif du couple, l'auteur évoque la construction de l'Europe après les deux guerres mondiales et l'importance de la capacité au pardon. Il déplore que la génération née après-guerre ignore la notion de sacrifice et soit soumise à la tyrannie de la jouissance. Nicolas et Pauline sont victimes de leur époque. Inexorablement.
Elle ne comprend pas sa peur d'être privé du monde, et il n'entend pas sa crainte d'être abandonnée. A aucun moment, ils ne se regardent tels qu'ils sont et ne font un pas l'un vers l'autre. Aucun mot, aucun geste - rien de ce qu'on appelle la sollicitude. C'est ce que l'Histoire nous enseigne pourtant.
  Dans un style sobre et percutant, Florian Zeller signe un roman plutôt réussi. Il maintient la distance nécessaire à l'égard de ses personnages pour que le lecteur puisse trouver sa place : mi-ironique, mi-attendri, il suit avec attention (parce que le livre est court, et il faut reconnaître que ça aide) les tribulations tragicomiques de ce couple banal dont la mort programmée ne suscitera guère plus qu'un sentiment diffus de gâchis. Le récit est émaillé d'anecdotes diverses renvoyant à des personnages célèbres qui pourront aussi amuser (ou navrer) le lecteur. Ainsi, j'aurai appris grâce à ce livre qu'André Breton était éjaculateur précoce (ce que, dans l'absolu, je me serais bien passé de savoir, mais j'avoue que mise en parallèle avec l'expérience personnelle de Nicolas, cette petite histoire m'a fait sourire).

Et pour finir sur une note désabusée :
Tentative de définition du verbe "vieillir".
A trente ans, il y a théoriquement autant de choses à vivre que de choses vécues, autant devant que derrière soi - c'est à dire : autant d'espérances que de souvenirs. C'est un équilibre précaire qui ne durera pas. Peu à peu, la masse des souvenirs l'emportera sur celle de l'espérance. De ce point de vue, vieillir, ce serait le transvasement invisible entre ces deux masses. Plus on avance, plus l'espérance se fait rare, tandis que la poche contenant les souvenirs devient extrêmement lourde. Si lourde, en vérité, qu'elle finit par se déchirer. La mémoire fuit alors de toutes parts. Elle fuit jusqu'à disparaître complètement. "
 Même si le vertige du vide a été représenté de façon bien plus magistrale chez d'autres auteurs, j'ai été sensible au je-m’en-foutisme narquois de Florian Zeller. Il ne révolutionne pas notre vision du monde (ce qu'il raconte n'amène rien de nouveau sous le soleil) mais son livre est le reflet d'une époque en mal d'idéal.

lundi 18 février 2013

Philippe Forest - Le chat de Schrödinger


Le dernier roman de Philippe Forest m'a plongée dans un abîme. 

 C'est un de ces livres rares qui parle de la beauté des choses. La beauté démesurée et la tristesse insondable qui l'accompagne.Il serait quasiment impossible de le résumer et je ne m'y risquerai donc pas. D'autant plus que l'auteur sait le faire bien mieux que moi.


Dans Le chat de Schrödinger, comme dans ses précédents livres d'ailleurs, Philippe Forest mène une réflexion qui entremêle récit autobiographique, essai et roman. Il poursuit son inlassable questionnement sur le réel et les fables. Sur la réalité des fables et l'affabulation du réel, ce qui revient finalement au même. A partir de l'expérience du chat de Schrödinger, il file la métaphore du réel envisagé à travers le prisme de l'infinité des possibles. L’évènement qui est à l'origine des livres de Philippe Forest est la perte de sa fille. Partant de là, toute son oeuvre est hantée par l'expérience de la perte dont ce deuil constitue une allégorie saisissante et universelle. L'enfant éternel est dans l'exacerbation lyrique de la douleur, Toute la nuit s'attache à démentir ce faux-semblant, Sarinagara s'inscrit davantage du côté de la méditation. A partir de cette faille initiale, Philippe Forest s'est lancé dans une entreprise passionnante et décapante : disséquer les représentations qu'on se fait du réel, tâcher de comprendre ce que toutes nos croyances recèlent, expliquer pourquoi nous n'avons accès au réel que par le biais de la fiction (parce que notre pensée est façonnée par la forme des histoires qu'on nous raconte depuis toujours). C'est ce qu'il fait encore dans ce dernier roman.

De façon assez inédite (du moins j'en ai l'impression), il prend pour point de départ une théorie scientifique. Ravalant la science au même rang que les fables, il met en avant la façon dont nous essayons de nous représenter la réalité. Montrant que c'est par le biais d'une expérience de pensée qui se révélera de toute façon non satisfaisante, il en vient à la conclusion que le réel ne prend une forme tangible que dans un ensemble de circonstances précises et que la "réalité" n'y est tangible que dans les limites circonscrites de cette expérience ; ainsi, si l'on modifie quelques données même infimes, la perception que nous avons des choses peut devenir tout à fait différente de ce qu'elle semblait être de prime abord.
Les seules choses qui existent sont celles auxquelles, à un moment ou à un autre, on a décidé de croire.
Mais puisqu'une idée induit nécessairement la validité de la thèse inverse, on prend conscience aussi assez vite que lorsque l'on cesse de croire en une chose, elle retourne dans la sphère de l'imaginaire.

Pour que naisse un récit, il faut bien un point de départ. C'est alors que (de façon opportune, c'est aussi à cela que sert le roman) de nulle part, dans l'obscurité, surgit un chat. Le narrateur est le témoin de cette apparition : soudain, "quelque chose se manifeste". Et c'est ce quelque chose surgissant du rien, cet évènement en apparence dérisoire, qui donne sa raison d'être au roman. Il était une fois un chat... une façon comme une autre d'entamer un conte, une histoire, une méditation ; chaque nouvelle idée se nourrissant de la précédente pour démultiplier à l'infini ce drôle d'avatar à peine incarné...

Et si quelque chose surgit, c'est pour combler le vide laissé par quelque chose qui s'en est allé.
Toute nouvelle affection, tout nouvel enfant, tout nouvel amour et, bien sûr, jusqu'aux animaux dont les personnes endeuillées, les amants abandonnés et tous les êtres esseulés font leur compagnon, prenant très précisément la place du mort à vos côtés.
Et ce chat banal devient prétexte à explorer de nouveau le sillon du deuil, creusé il y a longtemps, et qu'on pourrait croire poli par le souvenir. Mais le souvenir n'a rien perdu de sa beauté ni de sa douleur. Il irradie encore dans chacune des phrases de Philippe Forest, essentiel et insensé. Intact. Nourrissant encore et toujours des réflexions qui resteront sans réponses, mais par là même nécessaires.
"Dis-moi qui te hante, je te dirai qui tu es..."
Je n'ouvre jamais aucun carton. Si je le faisais, tout ce qu'ils contiennent se mettrait soudain à exister. Mais sous la forme effondrée d'un amas de déchets, pathétique, où je ne retrouverais rien de ce que j’aimais.  Sinon la preuve terriblement tangible que tout cela n'est plus. Tandis que tant que les cartons restent fermés, je peux m'en tenir à l'hypothèse délirante qui veut que chacune des boîtes enferme une chose à la fois morte et vivante, une pure poche de possible n'appartenant à aucune époque et à l'intérieur de laquelle se perpétue interminablement non seulement ce qui a été mais ce qui aurait pu être.
 L'écriture de Philippe Forest a pour particularité de mettre en évidence la réversibilité du réel. Je m'en suis déjà rendu compte en lisant ses livres précédents mais ce mécanisme prend une consistance plus explicite et plus systématique encore à travers la fable de Schrödinger. Il y a une indécidabilité fondamentale des choses et l'on a beau essayer de donner un sens à l'agencement branlant des événements, on ne fait que se voiler la face. Et pourtant comme Sisyphe, même si cela doit durer une éternité, on continue de pousser notre rocher parce qu'un chat est apparu et qu'on a envie de savoir où il va nous entraîner.
Il y a bien des raisons de mourir. Sans doute y en a-t-il autant de vivre. C’est pourquoi les unes et les autres se tiennent plus ou moins en
équilibre : on ne vit pas, on ne meurt pas, on se laisse vivre et puis on se laisse mourir. Moi, les quelques fois où j’avais pensé à me tuer, je sais ce qui m’avait conservé vivant, le motif vraiment dérisoire au regard de tout le reste et qui pourtant avait fait que j’étais toujours là : la curiosité, le désir très stupide de savoir ce qui allait suivre, l’avidité de connaître ce que serait le lendemain vide qui m’attendait. La cause la plus insignifiante peut vous pousser au suicide. Mais, inversement, c’est aussi la moins importante qui peut vous sauver la vie.
 De manière assez étrange (mais finalement extrêmement cohérente avec l'esprit de ce livre), l'auteur nous confronte à la désespérance profonde : "On perd ce qu'on aime. Et comme une fois ne suffit pas, il faut, tout au long de sa vie, le perdre encore et encore. Puisque la répétition est la seule pédagogie qui vaille. Faisant de l'existence comme une longue et terrible propédeutique au néant." en même temps qu'il laisse ouvert le champ des possibles :  
La sagesse exige que de ce qui n'est pas, il ne soit pas question.
Pourtant, que chercherait-on sinon ce qui n'est pas, qui vous manque, à la réalité de quoi, sans doute, l'on ne croit pas mais qui demande cependant qu'on lui prête par hypothèse une certaine sorte d'existence ? Ne serait-ce qu'afin d'avancer un peu, et même sans s'imaginer du tout que l'on aille ainsi vers où que ce soit, dans le noir de la nuit.
 Dans ce roman, Philippe Forest nous emmène encore une fois flirter avec le vertige du vide, nous confrontant au néant qui est au fondement de notre existence et dont Shakespeare esquissait déjà les contours :
We are such stuff as dreams are made on, and our little life, is rounded with a sleep.
Un livre à lire quand vous êtes en forme (aussi bien intellectuelle que morale) mais à côté duquel il ne faut pas passer.

Pour plus de citations, je vous renvoie à l'article d'Antoine (qui, d'ailleurs, est aussi très intéressant^^).

mercredi 13 février 2013

PriceMinister fête la BD

A l'occasion du festival d'Angoulême, PriceMinister propose aux blogueurs de recevoir des BD de la Sélection officielle du festival. Il suffit de s'inscrire avant le 15 février 2013 et de s'engager à faire une critique de la BD reçue. Ce serait dommage de ne pas en profiter ! Pour plus d'infos, cliquez sur la bannière :