Un homme dessine des cercles bleus un peu partout dans Paris ; il y enferme les objets les plus hétéroclites : bouchon, trombone, patte de pigeon... Ils sont accompagnés d'une formule qui semble se vouloir amusante : "Victor, mauvais sort, que fais-tu dehors ?" Le commissaire Adamsberg voit cette affaire d'un mauvais oeil et craint le moment où elle prendra un tour plus funeste. Ce qui ne manque pas d'arriver : on retrouve un jour une femme égorgée dans l'un des cercles.
Moi qui avais mis du temps à apprécier L'homme à l'envers, j'ai été d'emblée conquise par L'homme aux cercles bleus. J'aurais peut-être dû commencer par celui-ci, d'autant plus qu'il s'agit du premier roman dans lequel apparaît le personnage de Jean-Baptiste Adamsberg. Quoi qu'il en soit, ce que j'aime avant tout chez Fred Vargas, c'est qu'elle ne nous offre pas un roman policier basique. Bien sûr, on en retrouve les principaux ingrédients mais ils sont comme délayés dans une étrangeté poétique tout à fait envoûtante et ils deviennent très vite secondaires. C'est un peu comme si les personnages évoluaient en équilibre sur un fil, dérivant lentement des cases dans lesquels on chercherait en vain à les enfermer. Et il y a une jolie galerie de portraits : la reine Mathilde, l'aveugle beau, la vieille Clémence, l'énigmatique Adamsberg ou encore le pragmatique Danglard... tous un peu écorchés par la vie, ce qui ne les empêche pas de rayonner. J'ai du mal à comprendre pourquoi on classe ce livre dans "Policier". Mais ce qui est sûr, c'est que l'atmosphère onirique de ce roman est unique et redoutablement addictive. On baigne dans un univers tantôt réaliste, tantôt complètement décalé, totalement à l'image du héros. Le résultat est un ovni littéraire qui fourmille de perles (j'ai eu envie de recopier l'intégralité du livre tant chaque phrase sonne et résonne avec justesse). Et comme j'ai pu constater qu'il y a encore nombre de romans de Fred Vargas mettant en scène Adamsberg, je sens que je vais me plaire plaisir.
« Adamsberg réfléchissait de manière vague en revenant à pied à son bureau. Jamais il ne réfléchissait à fond. Jamais il n’avait compris ce qui se passait quand il voyait des gens prendre leur tête entre leurs mains et dire « Bien, réfléchissons ». Ce qui se tramait alors dans leur cerveau, comment ils faisaient pour organiser des idées précises, induire, déduire et conclure, c’était un complet mystère pour lui. Il constatait que ça donnait des résultats indéniables, qu’après ces séances les gens opéraient des choix, et il admirait en se disant qu’il lui manquait quelque chose. Mais quand lui le faisait, quand il s’asseyait en se disant « Réfléchissons », rien ne se passait dans sa tête. C’est même dans ces seuls instants qu’il connaissait le néant. Adamsberg ne se rendait jamais compte qu’il réfléchissait, et s’il en prenait conscience, ça s’arrêtait. Ce qui fait que toutes ses idées, toutes ses intentions et toutes ses décisions, il ne savait jamais d’où elles venaient. »