mercredi 29 mai 2013

Tunnel

Les journées se suivent et se ressemblent. C'est un océan gris, on le voudrait changeant et scintillant mais les vagues charrient une écume jaunâtre et des algues visqueuses. Une accalmie furtive, un rayon de soleil entre deux nuages, nous donne l'espoir que peut-être, demain sera un plus beau jour. Mais les vagues reviennent, encore et toujours, de plus en plus menaçantes. Elles creusent un sillon inquiétant qui vient se placer entre nous et l'océan. L'horizon devient un peu plus inaccessible et le regard qui se perd au large ne peut plus rêver. Alors on oublie peu à peu les aspirations qui hier encore suffisaient à nous envoler. Au loin se perdaient nos désirs, de là viennent s'échouer nos désillusions. Le frêle esquif n'aura dansé sur les flots qu'un court instant. Il reviendra au port un peu plus déboussolé et n'attendant plus qu'une chose : caresser de nouveau l'abîme qu'il a jadis effleuré.

mardi 28 mai 2013

Romain Gary - Clair de femme

Michel vient de quitter sa femme Yannik, atteinte d'un cancer, à la demande de celle-ci : "Je vais disparaître, mais je veux rester femme. Je te serai une autre. Va vers elle. Va à la rencontre d'une autre patrie féminine. La plus cruelle façon de m'oublier, ce serait de ne plus aimer." C'est ainsi que Michel rencontre Lydia, il se heurte à elle en sortant d'un taxi. Il s'accroche à elle parce qu'il veut être fidèle aux dernières volontés de Yannik.



J'ai lu Clair de femme sur les dithyrambiques conseils d'Antoine. Mais il n'est pas toujours bon de commencer un livre en se disant : "je vais lire un livre génial" parce qu'on court le risque d'être déçu. Je suis ressortie de cette lecture assez mitigée. Le personnage de Michel est complètement fou (de douleur certes mais aussi fou tout court). Je n'arrive pas à adhérer à son discours même si j'ai souvent trouvé qu'il dit de belles choses. Du coup, j'ai préféré Lydia, plus belle et plus lucide dans sa douleur. C'est un livre étrange, trop emphatique et de ce fait qui m'a paru souvent peu subtil et maladroit (en premier lieu, il y a cette volonté de Yannik, qui me paraît totalement inconcevable ; puis cette rencontre, bien peu vraisemblable elle aussi). J'ai eu du mal à adhérer à cette vision de l'Amour en tant qu'essence plus importante en soi que les personnes qui la vivent. Pour moi, le couple, ce sont deux êtres qui s'aiment et s'il y a Amour, c'est parce qu'il y a ces deux êtres donc ce n'est pas un sentiment qui peut se transposer comme ça d'une personne à une autre. Or, on a l'impression que c'est ce que Michel fait. C'est pour ça qu'à mes yeux, Michel n'est pas crédible. Toutefois, à travers ses imperfections, ce livre touche quelque chose de très juste. Dans ce qui lie et qui sépare à la fois Michel et Lydia, il y a l'abîme qui peut exister entre un homme et une femme. Un livre qui nourrit la réflexion mais qui m'a moins touchée que ne l'avaient faits La vie devant soi, La promesse de l'aube ou Les Enchanteurs qui -je pense- valent davantage la peine d'être lus.

Elle reviendra. Bien sûr, elle ne sera plus tout à fait la même. Elle aura un autre regard, un autre physique. Elle s'habillera autrement, quoi. Il est normal, naturel, qu'une femme change. Qu'elle change d'apparence, qu'elle ait des cheveux blancs, par exemple, une autre vie, d'autres malheurs. Elle reviendra. Bon, il se peut que je chante seulement dans la nuit pour me donner du courage. je ne sais plus très bien. Je suis un peu sonné. Je t'ai appelé et je te parle parce que je suis incapable de penser, et les mots sont justement là pour nous dépanner. Les mots sont des espèces de ballons d'air qui te permettent de monter à la surface. Je te téléphone pour essayer de me trouver au bout du fil. Yannik n'est plus là et tout autour de moi est devenu femme. Ce n'est pas fini. Je ne suis pas fini. Quand un homme est fini, cela veut dire surtout qu'il continue.

lundi 27 mai 2013

Jon McNaught - Automne

Dans le cadre d'un partenariat avec le Festival d'Angoulême, Price Minister m'a envoyé cette BD que la quatrième de couverture annonce comme une oeuvre "contemplative et douce-amère". J'en profite d'ailleurs pour les remercier : c'est un bel album aux couleurs un peu vieillies, en harmonie avec le thème du récit.


Dans un premier temps, je me suis sentie déroutée face à la multitude de petites cases qui composent chaque planche puis je me suis accoutumée à la poésie simple de ces instants fugaces saisis par le regard. Au fil des cases s'égrène la mélodie banale du temps qui passe, lentement et inéluctablement.
Néanmoins j'ai aussi été un peu déçue : le lecteur est plongé dans la plus pure des contemplations mais j'attendais des détails qui sortiraient du lot, qui feraient mouche. Du coup, je suis restée sur ma faim. J'ai trouvé qu'on restait à la surface des personnages, que ce qui passait dans les ellipses aurait pu être davantage  explicité. En arrivant à la dernière page, je suis restée avec l'impression que l'auteur n'était pas allé au bout de sa démarche. Je m'attendais à ce que les choses gagnent en intensité, imperceptiblement, mais pour moi il ne s'est rien passé. Dommage.

Note : 10/20

mardi 21 mai 2013

Spleen

Que restera-t-il quand la pluie aura tout lavé ? Elle me rend dingue à ne jamais s'arrêter. Ça fout dans l'âme un cafard monstre. On est loin des abysses mais quand même, je n'ai plus pied. Je suis en deuil, je crois. Enfin je ne crois plus à grand chose. Tout est gris et sans horizon. Tout est infiniment triste. Sauf moi. Ou bien c'est moi qui ne vois le monde qu'à travers le prisme de cette tristesse qui colle à tout. Qui me colle aux basques comme une vieille copine chiante. J'exsude la tristesse et ça me rend morose. Il manque quelque chose. Je voudrais savoir quoi pour pouvoir m'y accrocher. Peut-être que ça n'existe pas en réalité. C'est bien joli de courir après mais encore faudrait-il être sûr que ça en vaille la peine. Du coup, j'ai arrêté de courir. Mais pourquoi je suis encore si fatiguée ? Pas bouleversée, juste anesthésiée. Ma vie au ralenti, si je pouvais mettre sur pause un peu, le temps de dire au revoir aux souvenirs. Des cartons énormes mais quand je les soulève, je réalise qu'ils sont vides. La vraie vie, ce n'était pas celle d'avant. Trop chérie, trop embellie. Sans le vouloir, perdue. Tant mieux ou  tant pis. Il y a des choses que j'aurais crues plus simples, d'autres que j'aurais voulues plus compliquées. Je n'ai rien décidé de toute façon.

"Qui nous a ainsi retournés pour que, quoique nous fassions, nous soyons dans la position d'un qui s'en va ? Comme lui, sur la dernière colline qui fait voir sa vallée tout entière une fois encore, se retourne, s'arrête, tarde, - ainsi nous autres vivons-nous, sans cesser de faire nos adieux." 

Elégies de Duino, Rainer Maria Rilke

Tout cela est d'un plombant... ne faisons pas dans la demi-mesure ; badons aussi avec Baden Baden :



vendredi 3 mai 2013

L'écume des jours (le film)



Je n'ai qu'un vague souvenir du roman de Boris Vian (parce que je l'ai lu il y a longtemps) mais le souvenir positif d'un livre à la poésie étonnante et d'une tristesse qui m'avait bouleversée.

Je m'en rappelais toutefois suffisamment pour ne pas être désarçonnée par la mise en images de l'univers totalement ahurissant de Vian. Ahurissant mais qui fonctionnait.

J'ai l'impression que Michel Gondry a fait de L'écume des jours une adaptation visuellement fidèle mais émotionnellement ratée. Cela me pousse d'ailleurs à me demander dans quelle mesure je serais sous le charme du bouquin si je le relisais aujourd'hui.

Le principal problème du film, c'est qu'à force de ne plus savoir où donner du regard (parce qu'on croule sous les effets visuels improbables et incongrus), on perd complètement de vue les personnages. Ils sont fades, leur jeu est assez médiocre et ils ne sont ni touchants ni intéressants. La rencontre entre Chloé et Colin est banale mais au sens négatif du terme : à force de vouloir nous surprendre par une absence totale de logique, le réalisateur finit par nous désintéresser complètement de ce qui leur arrive. Ce film souffre d'un manque de cohérence chronique qui en fait un catalogue d'images étonnantes, intéressantes, mais sans réel fil conducteur. L'histoire est pourtant banale : Chloé est malade et à partir de ce moment-là, l'univers autour des personnages se délite. Comment un film qui paraissait aussi prometteur a-t-il pu être au final une telle déception ? C'est en écoutant une émission fort intéressante que je l'ai compris. Pour résumer, L'écume des jours est un film expérimental qu'on nous a vendus comme la comédie romantique du printemps. Avec un casting de "stars" qui se retrouvent dans ce film comme des éléphants dans un magasin de porcelaine. D'où une bande-annonce qui fait rêver (à grands coups de Woodkid et des Lumineers) et qui ne reflète en rien le film.
Et le plus malheureux dans tout ça, c'est que même si je me suis sentie peu concernée pendant la majeure partie du film, la fin m'a mise profondément mal à l'aise. Pas d'émotions, pas d'empathie mais une atmosphère extrêmement oppressante et plombante.
Bref, une grosse déception que rien ne vient racheter. A part peut-être la souris (mais pourquoi avoir déguisé un homme en souris, mystère !) et Omar Sy qui m'ont un peu plus touchée que le reste. Mieux vaut s'en tenir à la bande-annonce, qui est très réussie (et de ce fait fort déceptive).


jeudi 2 mai 2013

Louis Aragon - Aurélien

L'intrigue d'Aurélien pourrait tenir en deux lignes mais ce serait méconnaître les multiples dimensions de ce récit : au-delà de la romance entre les deux protagonistes, c'est le Paris de l'entre deux guerres, la frénésie des années 20 que nous donne à voir Aragon. C'est une génération en manque d'idéal que celle d'Aurélien qui a combattu durant la Première Guerre Mondiale. Aurélien est celui qui "erre à travers [son] beau Paris sans avoir le cœur d'y mourir". Il touche suffisamment de rente pour ne pas avoir à travailler alors il passe une grande partie de ses nuits au Lulli's . Il couche de temps en temps avec des prostituées ou des femmes mariées. Il est plutôt séduisant mais ne connait que de liaisons éphémères, c'est avant tout un solitaire. Bérénice quant à elle, est en vacances chez son cousin Edmond Barbentane (un ami d'Aurélien) et c'est ce dernier qui a l'idée de faire naître une idylle entre la jeune Provinciale et son vieux camarade. Ce qui complique les choses, c'est le "goût de l'absolu" de Bérénice.


"La première fois qu'Aurélien vit Bérénice, il la trouva franchement laide". Si la première phrase du roman d'Aragon semble tromper l'effet d'attente du lecteur, ce n'est que pour mieux le ramener plus tard et par des biais plus ou moins alambiqués, au face-à-face inéluctable entre Aurélien et Bérénice. Mais Aurélien est une célébration profondément ambivalente du sentiment amoureux : "Oui, on sort d'un amour comme on y entre, sur une décision prise ; et de le constater était à Leurtillois un désappointement profond".

Si rien ne semble prédisposer Aurélien et Bérénice à s'aimer, si on semble bizarrement vouloir les jeter à tout prix dans les bras l'un de l'autre, il n'empêche que les deux personnages en sont à un moment de leur vie qui les place dans une attitude de profonde disponibilité vis-à-vis de l'amour. C'est ainsi que la magie opère, par cette étrange alchimie qui les rend inexplicablement uniques l'un pour l'autre. Pourtant, la vie n'est pas aussi bien faite qu'un roman et Aurélien a en cela le mérite de donner l'illusion des méandres de la vie même, et Aragon de multiplier les occasions manquées entre les amoureux. Où les mènera cette course éperdue vers un Idéal si difficile à atteindre ?

Ce roman nous offre une galerie de personnages fascinants, à la psychologie finement dessinée : qu'il s'agisse d'Edmond ou de Blanchette Barbentane, de Rose Melrose ou de Paul Denis, le lecteur est le spectateur privilégié des états d'âme, des calculs et des tergiversations de chacun. On voit ces individus se croiser, se blesser, s'aimer ou se briser sur fond de grisaille parisienne, dans un monde que la guerre a bouleversé et a laissé tristement désenchanté. Ils vivent au jour le jour en quête des plaisirs simples de la vie ; Bérénice détonne étrangement dans ce décor par sa soif inassouvie d'Idéal.

"Car Bérénice avait le goût de l'absolu.
Elle était à un moment de sa vie où il fallait à toute force qu’elle en poursuivît la recherche dans un être de chair. Les amères déceptions de sa jeunesse qui n’avaient peut-être pas d’autre origine que cette volonté irréalisable d’absolu exigeaient une revanche immédiate. Si la Bérénice toujours prête à désespérer qui ressemblait au masque doutait de cet Aurélien qui arrivait à point nommé, l’autre, la petite fille qui n’avait pas de poupée, voulait à tout prix trouver enfin l’incarnation de ses rêves ; la preuve vivante de la grandeur, de la noblesse, de l’infini dans le fini. Il lui fallait enfin quelque chose de parfait. L’attirance qu’elle avait de cet homme se confondait avec des exigences qu’elle posait ainsi au monde. On m’aura très mal compris si l’on déduit de ce qui a été dit de ce goût de l’absolu qu’il se confond avec le scepticisme. Il prend parfois le langage du scepticisme comme du désespoir, mais c’est parce qu’il suppose au contraire une foi profonde, totale, en la beauté, la bonté, le génie, par exemple. Il faut beaucoup de scepticisme pour se satisfaire de ce qui est. Les amants de l’absolu ne rejettent ce qui est que par une croyance éperdue en ce qui n’est peut-être pas."


Aurélien se révèle lui aussi à la recherche de ce qui donnera du sens à sa vie. Sa quête semble, du moins pour un temps, coïncider avec celle de Bérénice.

"Pour la première fois de sa vie, Aurélien éprouvait, avec cette acuité de sentiment qu’on n’a, en général, qu’un peu avant le réveil, dans la dernière période du sommeil, Aurélien éprouvait le vide absolu de sa vie. Il avait cru, plus ou moins, jusqu’alors, qu’il faisait quelque chose, qu’il trompait assez bien la mort, oisif au point de vue des imbéciles, pensait-il, mais enfin... Il voyait des gens, il se plaisait à les écouter, à juger ce monde déraisonnable, à se mêler à son agitation de surface, à deviner ses drames profonds, à partager ses plaisirs... Il avait des aventures qui étaient un peu des découvertes... De temps à autre, il voyageait, il prenait à tous les vents de sa liberté une bouffée, une ivresse de ce temps inconscient et lourd qui avait suivi la guerre... de cette autre guerre sourde, la paix... Comme ce dilettantisme lui paraissait aujourd’hui creux, inutile ! Il ne désirait rien. Pas même le soleil, la chaleur. Que s’était-il donc passé ?"

Aragon est un auteur que j'admire beaucoup. Pour moi, ce livre est à mettre aux côtés de Belle du Seigneur au sommet de la pile des livres qu'il faut avoir lus avant de mourir. Il contient des passages magnifiques qui dépeignent l'âme humaine dans toute sa complexité, qui restituent de façon remarquable les choses qui peuvent donner du sel à la vie comme celles qui peuvent plonger dans la plus profonde désespérance.