C'est dans ce contexte favorable que j'ai abordé la lecture de La Jouissance. Il faut avouer que la quatrième de couverture est aguicheuse. Jugez plutôt :
L'histoire commence là où toutes les histoires devraient se finir: dans un lit. Nicolas vit depuis deux ans avec Pauline, ce n'est donc pas la première fois qu'ils se retrouvent l'un en face de l'autre et qu'elle lui fait une sourire équivoque en lui prenant la main. Ce sont des gestes qu'ils connaissent des choses familières et rassurantes.Mais si le programme est alléchant, c'est surtout parce que le roman aborde un thème universel : le couple (et son échec programmé dans la société du XXIème siècle). Au début du récit, Nicolas et Pauline sont ensemble depuis deux ans. Ils s'aiment mais Nicolas éprouve du désir pour d'autres femmes et redoute de "s'enfermer dans un monde qui serait celui de la jouissance dénuée d'excitation (celui du couple)". Pour Pauline, Nicolas incarne une joie de vivre qui la fait se sentir bien à ses côtés et elle s'imagine sans peine vieillir avec lui.
Ce jour-là, pourtant, quelque chose d'inédit se produit. Il est allongé sur le dos et Pauline, qui vient de retirer son soutien-gorge, ferme légèrement les yeux, comme elle a l'habitude de la faire quand le plaisir commence sa douce anesthésie du monde. Soudain, la couette se soulève, et une troisième tête apparaît.
En parallèle du délitement progressif du couple, l'auteur évoque la construction de l'Europe après les deux guerres mondiales et l'importance de la capacité au pardon. Il déplore que la génération née après-guerre ignore la notion de sacrifice et soit soumise à la tyrannie de la jouissance. Nicolas et Pauline sont victimes de leur époque. Inexorablement.
Elle ne comprend pas sa peur d'être privé du monde, et il n'entend pas sa crainte d'être abandonnée. A aucun moment, ils ne se regardent tels qu'ils sont et ne font un pas l'un vers l'autre. Aucun mot, aucun geste - rien de ce qu'on appelle la sollicitude. C'est ce que l'Histoire nous enseigne pourtant.Dans un style sobre et percutant, Florian Zeller signe un roman plutôt réussi. Il maintient la distance nécessaire à l'égard de ses personnages pour que le lecteur puisse trouver sa place : mi-ironique, mi-attendri, il suit avec attention (parce que le livre est court, et il faut reconnaître que ça aide) les tribulations tragicomiques de ce couple banal dont la mort programmée ne suscitera guère plus qu'un sentiment diffus de gâchis. Le récit est émaillé d'anecdotes diverses renvoyant à des personnages célèbres qui pourront aussi amuser (ou navrer) le lecteur. Ainsi, j'aurai appris grâce à ce livre qu'André Breton était éjaculateur précoce (ce que, dans l'absolu, je me serais bien passé de savoir, mais j'avoue que mise en parallèle avec l'expérience personnelle de Nicolas, cette petite histoire m'a fait sourire).
Et pour finir sur une note désabusée :
Tentative de définition du verbe "vieillir".Même si le vertige du vide a été représenté de façon bien plus magistrale chez d'autres auteurs, j'ai été sensible au je-m’en-foutisme narquois de Florian Zeller. Il ne révolutionne pas notre vision du monde (ce qu'il raconte n'amène rien de nouveau sous le soleil) mais son livre est le reflet d'une époque en mal d'idéal.
A trente ans, il y a théoriquement autant de choses à vivre que de choses vécues, autant devant que derrière soi - c'est à dire : autant d'espérances que de souvenirs. C'est un équilibre précaire qui ne durera pas. Peu à peu, la masse des souvenirs l'emportera sur celle de l'espérance. De ce point de vue, vieillir, ce serait le transvasement invisible entre ces deux masses. Plus on avance, plus l'espérance se fait rare, tandis que la poche contenant les souvenirs devient extrêmement lourde. Si lourde, en vérité, qu'elle finit par se déchirer. La mémoire fuit alors de toutes parts. Elle fuit jusqu'à disparaître complètement. "
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