mercredi 28 novembre 2012

Patrick Modiano - Un pedigree

Un pedigree est le premier livre que je chronique sur ce blog et que je n'ai pas terminé... Ma critique en sera donc partiale et incomplète mais je tenais tout de même à en dire quelques mots. Voici la quatrième de couverture qui m'avait donné envie de le lire.

J'écris ces pages comme on rédige un constat ou un curriculum vitae, à titre documentaire et sans doute pour en finir avec une vie qui n'était pas la mienne. Les évènements que j'évoquerai jusqu'à ma vingt et unième année, je les ai vécus en transparence - ce procédé qui consiste à faire défiler en arrière-plan des paysages, alors que les acteurs restent immobiles sur un plateau de studio. Je voudrais traduire cette impression que beaucoup d'autres ont ressentie avant moi : tout défilait en transparence et je ne pouvais pas encore vivre ma vie.


Je n'ai pas accroché à ce récit (dont j'ai lu à peu près la moitié) parce que ce côté "énumération de faits se rapportant à l'histoire familiale présentés de manière distanciée et sans entrer dans le détail" n'a trouvé aucun écho en moi. Cette liste de noms, de lieux, de personnages dont je ne savais rien et dont on ne me disait pas grand chose me donnait l'impression que je glissais sur chaque phrase. Je suis incapable de lire une page de ce livre et de la résumer, je n'arrive à trouver prise sur rien. J'ai donc abandonné de guerre lasse. Je crois que j'ai vraiment du mal avec Patrick Modiano parce que je n'avais pas compris grand chose à La place de l'étoile que j'ai lu il y a déjà quelques années. Je manque peut-être de connaissances sur cet auteur pour pouvoir apprécier pleinement la teneur de son oeuvre.

mardi 27 novembre 2012

Argo

Argo est le dernier film de Ben Affleck, ce beau gosse qui régala le regard des midinettes dans Armageddon et dans Pearl Harbor. Il faut bien reconnaître que cela lui a plutôt réussi de passer à la réalisation. J'ai de vagues souvenirs de Gone baby gone qui m'avait laissée sur une bonne impression. Mais venons-en à Argo dont le pitch est plutôt savoureux. Basé sur une histoire vraie, Argo retrace un épisode de la crise iranienne. En 1979, alors que les liens entre l'Iran et les USA sont tendus, une foule d'Iraniens prend d'assaut l'ambassade des Etats-Unis à Téhéran et fait une cinquantaine d'otages. Six Américains parviennent à s'échapper et trouvent refuge chez l'ambassadeur du Canada. Le problème c'est que les Iraniens vont finir par découvrir qu'il leur manque six personnes, celles-ci sont donc en danger. La CIA lance alors une mission pour les sauver, menée par Tony Mendez. Il monte un projet de film de science-fiction bidon, Argo, avec la complicité d'un producteur hollywoodien. Il vaut mieux que le scénario ait l'air crédible puisque les six Américains seront présentés comme l'équipe de production venue en repérage en vue du tournage prochain.


Argo est un bon thriller. Il pose très clairement le contexte historique dans les premières minutes du film. Il joue subtilement de l'analogie qui peut être amorcée entre le synopsis du film fictif Argo et la réalité historique. Le film est divertissant pour ce qui concerne la partie "Hollywood", angoissant lorsqu'il s'agit pour nos Américains de se  promener dans Téhéran pour les soi-disant repérages du film. Le casting est aussi très bon : John Goodman, Bryan Cranston (souvenez-vous de Al, le papa de Malcolm dans la série du même nom !), Victor Garber (qui jouait l'architecte du paquebot dans Titanic), Tate Donovan (Joshua dans Friends) et bien d'autres ! La BO est aussi très sympa. Le film remplit toutes les conditions pour passer un très bon moment. Il n'en fait pas des tonnes : il est tantôt drôle et tantôt sérieux, mené d'une main de maître jusqu'à la course-poursuite finale pleine de suspense. Un film qui vaut la peine d'être vu.

jeudi 15 novembre 2012

Rencontres

Cela commence par un regard et quelques mots échangés. Vient ensuite la connivence d'un sourire. Le plaisir de la conversation. La découverte de l'autre est comme la lente ascension d'un joli sentier de montagne. Chaque mètre parcouru ressemble à une victoire et l'on se sent fier de la gagner sur soi-même. On se découvre drôle et spirituel dans le regard bienveillant qu'un autre porte sur soi. On se réchauffe à son sourire et en ces mois de disette pré-hivernale, ce n'est pas désagréable. Dans le drôle de miroir qu'est l'autre, ce n'est que moi que je contemple encore. Car il en faut du temps pour se saisir. Et l'on peine d'autant plus à le faire lorsqu'on se heurte à des obstacles divers. Il arrive en effet que le chemin riant se transforme en une roche abrupte et impraticable. Il faut alors laisser l'autre partir, à regret le regarder s'en aller et dévaler la pente, lourd de quelques désillusions supplémentaires.
L'autre n'est finalement que la somme des espoirs que j'ai placés en lui. En tant que tel, il n'a strictement aucun intérêt. En réalité, il est une enveloppe vide interchangeable avec un autre Autre. Je lui donne sa consistance, reflet de mes attentes et de mes envies. A la place de cette coquille dépourvue d'identité, je l'invente conforme à mes désirs, plus beau sans doute qu'il ne sera jamais. C'est à partir du moment où je lui refuse son individualité que je le rends réellement intéressant. J'en fais le plus séduisant des personnages : doté des qualités les plus remarquables, il est celui que je dois fréquenter pour donner une saveur nouvelle à la vie. C'est pour cela que la claque est douloureuse quand il déchoit. Au mépris de mes espérances (mais comment a-t-il pu oser ???), il descend de son piédestal et se vautre dans la piètre fange de sa banalité désenchantée. Je contemple médusée le pâle reflet de celui qui semblait tellement en valoir la peine. Peut-être qu'en l'écrasant de mon idéal, je ne lui ai laissé aucune chance si ce n'est celle qu'il a saisie : me décevoir. Qu'à cela ne tienne, un Autre prendra un jour sa place, qui en vaudra davantage la peine. L'ego est un drôle d'oiseau blessé, fragile et borné. Tantôt complètement à côté de la plaque, tantôt animé d'une soif de vivre à presque toute épreuve.
N'empêche qu'en attendant, il faut balayer les débris épars de l'espoir et trouver de quoi rafistoler son vieux baluchon de rêves abîmés afin de reprendre la route, qui promet d'être longue encore.

mercredi 14 novembre 2012

Pauline Sales - En travaux

André est français ; Svetlana est Biélorusse. Ils travaillent tous les deux dans le bâtiment. Il l'embauche en pensant que c'est un homme. Ils vont se côtoyer, se parler, se toucher, se blesser, se méprendre plus que se comprendre mais leur rencontre fera des étincelles.


Ce livre est vraiment étrange. Etrange et fascinant. J'ai eu le sentiment de ne pas tout comprendre tant il charrie de sentiments divers. J'ai aimé la façon dont Svetlana joue avec les mots et malmène la langue française pour finalement en démonter les mécanismes. Elle ouvre un nouvel espace dans la langue et dans la vie d'André : un espace de possibles jusque-là insoupçonnés et qui le perturbe profondément. Il y a une poésie touchante dans l'écriture de Pauline Sales. Je pense que l'émotion doit affleurer très joliment sur scène. Et en même temps, on sent une dureté, quelque chose qui résiste. Malgré la richesse de la langue ou justement à cause d'elle, André et Svetlana sont deux êtres en interaction, désespérément humains et qui se font tantôt du bien, tantôt du mal. Leur histoire a la rugosité de la vie même et porte en elle des blessures et des espoirs. Après s'être laissés porter par la vague, on sort de ce texte, rejetés un peu plus loin sur la grève. Toujours un peu plus tristes, toujours un peu plus vivants. C'est rare de savoir figer la beauté, il faut donc profiter de cette pépite rare.


5
Voyage Intérieur

ANDRE _ Elle se promène à l'intérieur de moi avec sa lampe allumée au milieu du front et elle avance. Elle marche à travers mes veines, mes tendons, mes muscles comme au milieu de la forêt vierge. Elle se baisse pour passer sous un nerf. Elle escalade une artère. Elle descend en rappel le long de ma gorge. Elle passe sous mes amygdales atrophiées - j'ai été opéré enfant, bronchites à répétition -, elle se faufile dans la trachée avançant coude après coude. Elle s'assoit sur mon plexus, fait une pause. Elle joint les mains au-dessus d'une veine et se désaltère à mon sang. Mon corps est d'une obscurité absolue, totale. Seuls certains stores de grande qualité peuvent te garantir une telle opacité. Elle n'a que sa lumière pour la guider et je n'ai que sa lumière pour me voir de l'intérieur. Elle passe sous les arceaux de ma cage thoracique.Elle se laisse aller de tout son poids sur la texture en ballon de mes poumons. Comme un trampoline, elle se soulève et se rabaisse au rythme de ma respiration. Sa lampe frontale dessine sur l'intérieur de ma peau des ombres qui prennent la forme d'animaux préhistoriques. Et puis la lampe éclaire le bout de viande puissant et ramassé, courtaud et violent, la pompe qui irrigue toute l'affaire, le coeur. Le bruit est assourdissant comme sur un barrage hydraulique. Son visage reste dans l'ombre. Je ne peux pas voir son visage, ni entendre sa respiration, je ne vois que mon coeur, qui accomplit son travail. Répétitif. Violent. Assourdissant.

mardi 13 novembre 2012

Michel Serres - Petite poucette

Dans cet essai, Michel Serres essaie de penser le monde actuel dans toute la complexité de ses évolutions. Il appelle "Petite Poucette" les jeunes de la nouvelle génération qui ont grandi avec les nouvelles technologies et usent notamment de leurs pouces pour envoyer des SMS. Il compare la révolution que connaît notre monde à celle entraînée par le passage de l'oral à l'écrit, ou par la chute de l'Empire Romain. Il réclame l'indulgence pour les jeunes qui ont tout à réinventer dans un monde où leurs pairs leur transmettent des systèmes de pensée dans lesquels ils ne peuvent plus se reconnaître.


J'ai trouvé la réflexion de Michel Serres tout à fait intéressante et novatrice. Il a en effet le mérite de nous donner à penser le monde à venir sur un mode optimiste, ce qui bouscule notre approche trop souvent catastrophiste des choses. Néanmoins, j'ai du mal à adhérer à sa vison ultra positive de la jeunesse à qui les profs d'aujourd'hui essaient de transmettre un savoir. Certes le savoir est aujourd'hui à la portée de tous grâce à Internet mais il est naïf de penser qu'Internet rend obsolète l'existence des bibliothèques. Je m'étonne qu'un homme d'une intelligence aussi grande puisse déclarer que si les salles de classe bruissent aujourd'hui du bavardage des jeunes élèves et des étudiants, c'est parce que le savoir qu'on leur transmet, ils peuvent l'acquérir par d'autres moyens. Dans un collège de l'Aisne, je n'ai pas à faire au même public que M. Serres à l'Université de Stanford. Cela me paraît tellement évident que j'ai du mal à concevoir qu'on puisse mettre toute la jeune génération (dont je fais moi aussi partie) dans le même panier. Si le savoir est aujourd'hui plus accessible qu'il ne l'a jamais été, ce n'est pas pour autant que les jeunes peuvent l'appréhender de manière plus critique. Au contraire, ployant sous le flot d'informations contradictoires, seuls ceux qui ont eu la chance de pouvoir former leur jugement les envisagent avec circonspection et tentent de se forger leur propre opinion en confrontant des thèses contradictoires. Les jeunes au cerveau malléable et influençable sont des éponges qui s'imprègnent sans prendre de recul. Alors bien sûr, il faut repenser la manière d'enseigner puisque les têtes blondes d'aujourd'hui ne sont plus faites comme celles d'hier mais je ne peux pas croire qu'on puisse jeter à la poubelle l'esprit de synthèse et la maxime de Montaigne préférant "une tête bien faite à une tête bien pleine". Michel Serres a donc le mérite de nous donner à voir la réalité du monde sous un angle inédit mais il manque à certains égards de clairvoyance. A force de juger sévèrement la génération précédente et d'encenser la nouvelle, il échoue à instaurer un lien entre les deux. C'est comme s'il fallait tout jeter de l'ancienne et regarder avec bienveillance la nouvelle évoluer dans l'ère du virtuel. Or, je ne suis pas sûre que Facebook soit le meilleur moyen pour créer des communautés d'appartenance aujourd'hui ; de même, je ne pense pas que nous évoluions dans un monde où il n'y aura plus de guerres et où on vivra tous super longtemps et super heureux. Mais bon, je ne suis peut-être que le énième avatar de tous ces vieux réacs qui fustigent le progrès quelle que soit la forme qu'il adopte.

Pour ma part, je crois qu'il est urgent de prendre conscience que nous vivons dans un monde en pleines mutations et qu'il est vain de toujours pleurer sur le passé. Il est nécessaire de s'adapter à la nouveauté mais ce qui me paraît le plus urgent, c'est de créer du lien. Lien entre les individus et entre les générations pour avancer main dans la main et rendre le monde meilleur. Oui, je suis un peu idéaliste. M. Serres, si vous me lisez, j'aurais aimé que vous nous pondiez un petit essai là-dessus.


Je termine avec un extrait d'une interview de Michel Serres trouvée sur le site de Libération (on y retrouve les idées développées dans Petite Poucette), à lire en intégralité ici.
Vous annoncez qu’un «nouvel humain» est né. Qui est-il ?
Je le baptise Petite Poucette, pour sa capacité à envoyer des SMS avec son pouce. C’est l’écolier, l’étudiante d’aujourd’hui, qui vivent un tsunami tant le monde change autour d’eux. Nous connaissons actuellement une période d’immense basculement, comparable à la fin de l’Empire romain ou de la Renaissance.
Nos sociétés occidentales ont déjà vécu deux grandes révolutions : le passage de l’oral à l’écrit, puis de l’écrit à l’imprimé. La troisième est le passage de l’imprimé aux nouvelles technologies, tout aussi majeure. Chacune de ces révolutions s’est accompagnée de mutations politiques et sociales : lors du passage de l’oral à l’écrit s’est inventée la pédagogie, par exemple. Ce sont des périodes de crise aussi, comme celle que nous vivons aujourd’hui. La finance, la politique, l’école, l’Eglise… Citez-moi un domaine qui ne soit pas en crise ! Il n’y en a pas. Et tout repose sur la tête de Petite Poucette, car les institutions, complètement dépassées, ne suivent plus. Elle doit s’adapter à toute allure, beaucoup plus vite que ses parents et ses grands-parents. C’est une métamorphose !
Que répondez-vous à ceux qui s’inquiètent de voir évoluer les jeunes dans l’univers virtuel des nouvelles technologies ?
Sur ce plan, Petite Poucette n’a rien à inventer, le virtuel est vieux comme le monde ! Ulysse et Don Quichotte étaient virtuels. Madame Bovary faisait l’amour virtuellement, et beaucoup mieux peut-être que la majorité de ses contemporains. Les nouvelles technologies ont accéléré le virtuel mais ne l’ont en aucun cas créé. La vraie nouveauté, c’est l’accès universel aux personnes avec Facebook, aux lieux avec le GPS et Google Earth, aux savoirs avec Wikipédia. Rendez-vous compte que la planète, l’humanité, la culture sont à la portée de chacun, quel progrès immense ! Nous habitons un nouvel espace… La Nouvelle-Zélande est ici, dans mon iPhone ! J’en suis encore tout ébloui !
Ce que l’on sait avec certitude, c’est que les nouvelles technologies n’activent pas les mêmes régions du cerveau que les livres. Il évolue, de la même façon qu’il avait révélé des capacités nouvelles lorsqu’on est passé de l’oral à l’écrit. Que foutaient nos neurones avant l’invention de l’écriture ? Les facultés cognitives et imaginatives ne sont pas stables chez l’homme, et c’est très intéressant. C’est en tout cas ma réponse aux vieux grognons qui accusent Petite Poucette de ne plus avoir de mémoire, ni d’esprit de synthèse. Ils jugent avec les facultés cognitives qui sont les leurs, sans admettre que le cerveau évolue physiquement.

lundi 12 novembre 2012

Un plan parfait

Une malédiction semble peser sur les femmes dans la famille d'Isabelle. Elles n'épousent jamais l'homme idéal la première fois. Ce n'est qu'au deuxième mariage qu'elles trouvent le bon. Or, Isabelle vit le parfait amour avec Pierre et il ne veut pas avoir d'enfants s'ils ne sont pas mariés. Pour tenter de conjurer le mauvais sort et avec l'aide de sa sœur, Isabelle part au Danemark pour faire un mariage blanc qui sera aussi vite effacé par un divorce. Malheureusement, l'homme avec qui elle avait convenu d'un rendez-vous ne se présente pas. Elle doit donc coûte que coûte trouver une autre proie. Elle jette son dévolu sur Jean-Yves Bertier qui l'a pourtant gonflée dès l'entrée dans l'avion et qui travaille pour le Guide du Routard ; elle décide d'embarquer dans le même avion que lui pour le Kenya et d'improviser.


Un plan parfait est une bonne comédie romantique. Le synopsis est aussi improbable qu'amusant. Comment briser une histoire d'amour qui s'annonçait comme un conte de fées ? J'ai apprécié Diane Kruger dans ce rôle un peu déjanté. Dany Boon aussi, qui est d'abord imbuvable puis attachant. Même si l'on se doute très vite de la façon dont tout cela va se terminer, on rit beaucoup et on ne voit pas le temps passer. Les seconds rôles sont plutôt réussis : la sœur, le beau-frère et le beau-père apportent chacun une touche tantôt d'humour, tantôt d'émotion. Un film qui ne restera pas dans les annales mais qui offre un bon divertissement. Promesse tenue.

dimanche 11 novembre 2012

Sophocle - Oedipe-roi

Alors que le malheur s'abat sur Thèbes, Œdipe qui en est le roi est bien décidé à protéger son peuple. L'oracle de Delphes laisse entendre qu'il s'agit de découvrir qui est le meurtrier de Laïos, l'ancien roi. Mais lorsqu'il apprend que celui qu'il recherche n'est autre que lui-même, Œdipe a bien du mal à faire face à la terrible vérité qui s'abat sur lui.


Je connaissais le mythe d'Oedipe mais je n'avais encore jamais lu la pièce de Sophocle (ni même de pièce antique tout court). J'ai vraiment beaucoup aimé. Le destin s'abat sur Oedipe de façon particulièrement violente et c'est fascinant de voir comment il se rend compte progressivement de la situation impossible dans laquelle il se trouve. L'intensité dramatique est saisissante : jusqu'au bout on ne veut pas croire (comme lui d'ailleurs) à ce qui lui arrive. Et pourtant. Le rôle du chœur est aussi très intéressant. Il invite à réfléchir sur la condition humaine et en même temps, j'ai aimé qu'Oedipe ne soit pas plus accablé que nécessaire. Le lecteur est très libre de se faire sa propre opinion sur ce personnage écrasé par le destin. En tout cas, cela me donne très envie de découvrir d'autres tragédies aussi denses et propices à la réflexion.

LE CORYPHEE - Ô habitants de Thèbes, ma patrie, regardez ! Voilà Oedipe, déchiffreur de la fameuse énigme, homme de grand pouvoir. Voilà ce qu'il était. Quel citoyen pouvait contempler son destin sans envie ? Or voyez quel tourbillon d'effroyable misère l'a fait déchoir ! Aussi pour un mortel c'est son dernier jour qu'il faut toujours considérer. Gardez-vous de proclamer jamais un homme heureux avant qu'il ait franchi le terme de sa vie sans avoir subi aucun mal.

samedi 10 novembre 2012

Amour

On ne tarit pas d'éloges sur le film qui a reçu la Palme d'Or à Cannes cette année. Le titre est d'une limpidité et d'une simplicité qui tiennent leurs promesses. Le film raconte l'histoire d'Anne et de Georges, un couple d'octogénaires vivant dans un bel appartement parisien. Anne était professeur de piano : au début du film, elle se rend avec son mari au concert de l'un de ses anciens élèves devenu pianiste à succès. Ils mènent une vie tranquille et heureuse jusqu'au jour où Anne fait une attaque. Georges va alors s'occuper de sa femme qui refuse de retourner à l'hôpital mais dont l'état se détériore de plus en plus.


Amour est un film d'une humilité troublante. Il ne recherche aucun effet cinématographique gratuit. Nombre de scènes pourraient en effet être rehaussées par une musique qui lui conférerait une dimension pathétique. Mais cela n'est pas nécessaire. Le huis clos entre les deux acteurs suffit. Jean-Louis Trintignant et Emmanuelle Riva sont absolument remarquables. Ils ne jouent pas seulement des personnages, ils les incarnent, ils les portent avec un naturel stupéfiant. Ils sont d'une beauté, d'une douceur et d'une justesse magnifiques. Le jeu d'acteurs contribue à créer l'équilibre si difficile à atteindre entre la beauté de l'amour qui unit les deux personnages et l'inexorable arrivée de la mort. C'est quasiment impossible de retranscrire en mots l'expérience que nous fait vivre ce film tant il touche au réel le plus pur et le plus terrible. Il faut le voir. C'est éprouvant mais ça en vaut vraiment la peine.

vendredi 9 novembre 2012

Albert Cohen - Belle du Seigneur

Je dois donner l'impression de ne pas tourner tant de pages que ça en ce moment. Et pourtant... je viens d'achever ma relecture de Belle du Seigneur, chef d’œuvre de 853 pages dont j'ai pris le temps de me délecter religieusement. C'est un livre absolument unique qui nous donne de l'amour entre un homme et une femme une vision aussi complexe et saisissante qu'il se peut. Adrien Deume est un petit fonctionnaire futile et paresseux travaillant à Genève à la Société des Nations. Il passe son temps à se plaindre de sa situation et n'aspire qu'à gravir les échelons, à devenir un fonctionnaire de niveau A et à être reconnu par ses supérieurs qu'il critique sans cesse parce qu'il envie leur place. Tout le début du roman est teinté d'une ironie délicieuse qui s'appuie sur force détails tous plus ridicules les uns que les autres. A la SDN, il y a un supérieur éminent et qui fait beaucoup parler de lui : Solal des Solal, un Juif extrêmement séduisant et redoutablement intelligent, ce qui lui a permis de gravir les échelons. Malgré sa situation sociale plus qu'avantageuse et son succès retentissant auprès des femmes, ce Dom Juan en mal d'idéal souffre d'un vide métaphysique qui le ronge. Il aspire à l'Amour le plus pur qui soit et se désespère de ne séduire que grâce à son physique. Mais en même temps, il voue une adoration sans mesure à la gente féminine. Ariane Deume, née d'Auble est mariée au médiocre Adrien qui la bassine à longueur de journées avec ses petites stratégies pour grappiller un peu de considération sociale. Elle s'ennuie dans cette vie morne et passe de longues heures à laisser errer son imagination seule dans sa salle de bains. C'est sur cette sublime créature que Solal va jeter son dévolu. Il lui décrit tous les stratagèmes qu'il va utiliser pour la séduire et la prévient que trois heures plus tard, soit elle sera tombée sous son charme et ils partiront tous les deux vers le Sud, soit il aura échoué et il donnera à son mari une promotion dont il ose à peine rêver. Mais j'en ai trop dit déjà et ce résumé est bien fade face à la virtuosité de l'écriture de Cohen.


 L'auteur réussit en effet l'exploit de rendre ses héros plus vrais que nature. A travers de longs monologues intérieurs, il nous laisse entrevoir la vérité de leur être : un peu (ou plutôt complètement) fous, terriblement passionnés, volontiers sublimes mais désespérément humains. Les mécanismes de la passion sont décortiqués avec une minutie et une pertinence remarquables. Ils sont magnifiés tout autant que réduits à néant : ainsi, la pureté supposée nécessaire, le besoin de se montrer toujours parfait(e) et la magie entretenue de façon finalement artificielle par les amants sont pointés du doigt. Solal est dans une dynamique contradictoire qui  lui fait idéaliser Ariane en même temps qu'il la perçoit comme une petite chose fragile et pitoyable, un peu ridicule mais qu'il s'est donné pour but de protéger. Et pour entretenir la passion, la souffrance est nécessaire sinon la flamme vacille. Alors pour sentir qu'on s'aime, il faut se faire du mal mais on sombre alors dans une spirale infernale. Et en toile de fond aussi, toujours, ce pressentiment que la passion sublime est  associée à la jeunesse et à l'insolente beauté. Parce que toujours la mort guette, dans l'ombre, impitoyable. Parce que tout passe et qu'à moins de se résigner, on ne peut plus vivre. Tant de problématiques qui se télescopent et qui font sens jusque dans l'insolubilité de ce qu'elles démontrent. Nous sommes des êtres vivants au même rang que les animaux mais nous souffrons d'une soif d'absolu qui se combine difficilement avec le quotidien. Rêvant d'idéal et en même temps conditionnés par notre milieu, c'est finalement le social qui fait retour de manière incongrue lorsque l'échec de la vie en autarcie se fait durement sentir. Et malgré l’implacabilité de ce que nous montre ce livre, il réussit le prodige de nous montrer des êtres plus vrais que nature, si fragiles et si beaux dans leur foi vacillante en l'autre. Solal est à cet égard un personnage qui présente une aura irrésistible et qu'on ne peut pas ne pas aimer malgré sa cruauté qui confine à la démence. Notre propension au masochisme est mise en lien avec le prix que nous accordons aux choses et le bonheur souverain auquel on aspire n'est qu'un leurre qu'on est prêt à fouler aux pieds dès lors qu'on le touche du doigt parce que les choses perdent dès ce moment de leur saveur.

Il faut aussi reconnaître à Cohen ce talent incroyable à saisir la psychologie tant féminine que masculine. Car même s'il raconte les choses davantage du point de vue de Solal, il nous fait ressentir beaucoup de vérités à propos d'Ariane (non pas dans la façon dont Solal fantasme de façon hallucinée ses relations avec l'ancien amant mais dans la manière dont elle réagit à ses accusations odieuses et infondées). On touche à quelque chose d'essentiel dans la relation homme-femme : cette irrémédiable divergence de point de vue dans la façon d'aborder les choses (même si - ou justement parce que - les deux semblent incarner la même soif d'un idéal amoureux). Il subsiste un fossé terrible entre la méchanceté sans limites de Solal et la soumission d'Ariane (qu'il ne peut d'ailleurs s'empêcher de percevoir comme une énième preuve de sa duplicité). Je perçois une vérité ontologique dans cette peinture de la dureté masculine qui se combine de façon plus ou moins malheureuse avec la douceur féminine. Il me semble que nous sommes le sexe faible par une nécessité aussi bien sociologique que biologique, parce qu'il nous faut user d'autres armes face à l'assurance masculine toujours certaine d'être dans son bon droit.

De son index, elle appuya sur une narine pour la boucher et de l'autre narine pouvoir tirer plus fort les vapeurs d'éther, en avoir davantage. Elle prit deux fondants, se les mit dans la bouche, les mâcha avec dégoût. Le jour du retour de l'aimé, sa marche triomphale. Elle allait, nue sous la robe voilière qui claquait au vent de la marche, marche enthousiaste, marche de l'amour, et le bruit de sa robe était exaltant, le vent sur son visage était exaltant, le vent sur son visage haut tenu, son jeune visage en amour. Elle aspira encore,  sourit, larmes sur le visage enfantin, visage vieilli, larmes étalant les couleurs du maquillage.
Brusquement, elle se leva, alla lourdement à travers la chambre suffocante, le flacon d'éther à la main, lourdement tapant du pied, pataude exprès, vieille exprès, parfois grotesquement faisant un saut ou tirant la langue, soudain marmonnant que c'était la marche de l'amour, la marche de son amour, la sale marche de l'amour.


Tout ça pour dire qu'il faut lire Belle du Seigneur car c'est une peinture de l'existence à la fois terrifiante et sublime ; je ne sais absolument pas s'il existe d'autre roman qui ait aussi bien rendu compte de la densité de l'expérience humaine dans ce qu'elle a de plus beau et de plus ignoble mais j'en doute.


jeudi 8 novembre 2012

Stars 80

Vincent et Antoine se la jouent sosies de groupes mais ce n'est pas un job qui leur réussit. Nostalgiques des années 80, ils décident de se lancer dans une nouvelle aventure : remettre au goût du jour les chanteurs has been dont ils sont toujours fans. Malgré le manque d'enthousiasme que semble susciter leur projet, ils s'en vont à la rencontre de ceux qui ont marqué leurs jeunes années, bien décidés à faire de leur rêve une réalité.



Ce film ne restera pas dans les annales mais il a le mérite de nous donner ce qu'il promet, à savoir un bon divertissement sans prétentions. Le duo Anconina/Timsit fonctionne bien : ces personnages ont un potentiel sympathie plutôt élevé et deviennent vite attachants. Leur côté un peu trop naïf au début du film nous permet d'appréhender l'histoire sous le signe d'une gentille nostalgie. On va se moquer avec bienveillance mais on va aimer revoir des chanteurs passés de mode et réécouter leurs tubes. La troupe est assez disparate mais là encore, on sent une cohésion de groupe. Le film est consensuel mais sans en faire des tonnes. Et il y a quelques moments magiques comme la scène au restaurant de l'hôtel après le premier concert-fiasco où toute la salle finit par chanter et danser au rythme des tubes repris par les vieilles idoles. J'ai souri, j'ai chanté, je n'en attendais pas plus mais en tout cas, ça m'a bien fait marrer de revoir des chanteurs comme François Feldman ou Jean-Pierre Mader. Et puis il y a la fameuse histoire d'amitié entre nos deux héros, chamboulée par un succès que les deux ne gèrent pas de la même façon... Arriveront-ils à se réconcilier ? Le suspense doit rester intact, je me garderai donc bien de dévoiler la fin (mais elle n'est vraiment pas difficile à deviner^^).

mardi 6 novembre 2012

C'est quoi le bonheur ?

Je suis dans un état d'esprit étrange en ce moment, qui me fait un peu penser à un article que j'ai écrit il y a longtemps. Il y a des choses qui me tracassent mais j'ai envie de me laisser porter par les vagues de la vie qui depuis quelques mois m'entraînent vers des terres plus verdoyantes. Les vacances et le retour au bercail me font beaucoup de bien. Revoir les gens que j'aime et qui me comprennent, me promener au bord de la mer, arpenter les rues de Nantes pour faire du shopping en chouette compagnie, aller voir de bons films, découvrir de nouvelles séries, écouter Alexis HK, déguster un bon verre de muscat en mangeant du chocolat, grattouiller ma guitare, relire Belle du Seigneur... Que de nourritures spirituelles qui me rassasient suffisamment pour le moment. Je soigne ma soif d'idéal avec de petits bonheurs qui illuminent mon quotidien. J'ai envie de profiter des bonnes choses, d'apprécier de me sentir bien et surtout d'arrêter de me prendre la tête. Je m'en sors plutôt pas mal malgré quelques couacs. Je me rends compte qu'il n'est pas bon de toujours lorgner vers la lune alors je mets mon petit mouchoir sur mes soucis, je constate avec satisfaction qu'ils me plombent moins qu'ils n'ont pu le faire jadis. J'ai encore la vie devant moi et bien des jolis moments à savourer. Le chemin est pavé de désillusions mais il faut les prendre comme des passages obligés, c'est aussi de cette façon qu'on forge et qu'on affine notre perception de l'existence. Donc je continue à réfléchir intensément mais tout en goûtant à 200% les petits plaisirs qui se présentent à moi. Le bonheur, on ne le trouve pas en le plaçant entre les mains des autres qui ont déjà fort à faire avec le leur. On se le construit tout seul et après, c'est tant mieux si on peut le partager. Mais pas question d'assujettir un bien-être hypothétique à des prises de tête interminables. J'en ai terminé avec ça.

Je me sens bien. J'aime cette sensation. Il n'y a plus qu'à espérer que ça dure.

Et puisque je savoure en ce moment avec délice la poésie de l'écriture et la magie des mélodies d'Alexis HK, je termine avec une jolie miette de bonheur à se mettre sous la dent :



lundi 5 novembre 2012

Tim Burton - Frankenweenie

Frankenweenie est un court-métrage de jeunesse de Tim Burton. Vous pouvez le visionner en intégralité sur Dailymotion (il dure une trentaine de minutes). Je ne l'ai pas encore regardé en entier mais de ce que j'ai observé, le film d'animation qui vient de sortir sur nos écrans en est une adaptation strictement fidèle.


C'est l'histoire de Victor, un jeune garçon solitaire qui a pour seul ami son chien Sparky. Il faut préciser que Victor ne souffre absolument pas de la solitude, il fait des films avec son chien, il a son atelier ciné au grenier et il est parfaitement heureux ainsi. Ses parents s'inquiètent un peu et cherchent à le sociabiliser en lui faisant faire du baseball. Et lorsque Sparky se précipite en courant pour ramener la balle, il traverse la route et c'est le drame...

Sparky, c'est l'archétype du bon chien, le brave toutou attachant dont on ne met pas cinq minutes à tomber sous le charme. Il est gentil, il est drôle, il drague la chienne de la voisine (chienne qui porte le doux nom de Perséphone). Le film se déroule dans une atmosphère gentiment macabre, mais toujours teintée d'une poésie drôle et touchante. Quand Victor réussit à ramener Sparky à la vie par un soir d'orage, on n'imagine pas encore les conséquences que son geste aura...

J'ai passé un très bon moment, je suis bien rentrée dans l'histoire. Ça fonctionne bien parce que c'est très beau à regarder (le noir et blanc ajoute à l'esthétique du film), on touche à l'essence même de ce qui fait le charme de l'univers de Tim Burton. Après, je ne me fais pas d'illusion, c'est réussi et plein de fraîcheur parce que c'est une œuvre de jeunesse. Et comme d'habitude chez ce bon vieux Tim, on retrouve toujours les mêmes ingrédients : le rapport à la mort, une réflexion sur la tolérance face à celui qui est différent. Dans cette réécriture de Frakenstein sur le mode animalier, on trouvera aisément des références à Edward aux mains d'argent, à L'étrange Noël de Mr Jack et aux Noces funèbres. De quoi réjouir les puristes. Ça fait plaisir !

vendredi 2 novembre 2012

Skyfall

A priori, je ne suis pas particulièrement fan de James Bond : les gadgets à gogo, les courses-poursuites à 200 à l'heure et les belles filles, ça va bien deux minutes. J'ai dû voir tous les films avec Pierce Brosnan et  ils m'avaient divertie vite fait mais sans plus. Du coup, j'ai laissé passer à la trappe ceux avec Daniel Craig parce que bon, j'avais décrété que James Bond, ce n'était définitivement pas ma tasse de thé. Et puis voilà Skyfall arrivé sur nos écrans. Réalisé par le talentueux Sam Mendes (American beauty, Les noces rebelles, Away we go), avec dans le rôle du méchant Javier Bardem. Un casting plutôt alléchant et des critiques enthousiastes qui achèvent de me convaincre d'y aller. Et maintenant, je dois sérieusement réviser mon jugement. Déjà, je suis tombée amoureuse de Daniel Craig. Certes, j'ai un faible pour les beaux garçons aux yeux bleus mais ce mec a un regard à tomber, d'un bleu qui est à peine humain.


Au-delà de l’attraction purement physique exercée par ce cher Daniel, le film a un scénario tout à fait compréhensible et très prenant. Le MI6 est la cible d'attaques cyber-terroristes qui visent M. Quand James Bond revient d'entre les morts (après avoir reçu une balle, tirée sur ordre de M, même si c'était l'adversaire de James qu'elle visait, ce n'était pas très gentil de sa part), on lui fait comprendre qu'il commence à se faire vieux et qu'il pourrait peut-être prendre sa retraite. C'est compter sans les ressources insoupçonnées de l'espion britannique qui est bien décidé à tirer cette histoire au clair. Il repart donc sur les traces de celui qui met en péril la vie d'espions secrets à travers le monde en révélant leur véritable identité. En plus de scènes d'action tout à fait mémorables, le film est d'une esthétique irréprochable. J'ai aimé que le scénario soit centré sur les personnages, mais tout en subtilité, sans faire de la psychologie de comptoir. Cela leur donne une certaine épaisseur et les rend d'autant plus intéressants. Ils doivent faire face à l'adversité mais ne dévient jamais de l'objectif qu'ils se sont fixés. Tout passe dans les regards, on touche à la sensibilité du héros qui ne s'exprime pas directement mais qui est très clairement perceptible. C'est terriblement efficace et passionnant. J'ai passé un beau et grand moment de cinéma.

Et ce qui ne gâche rien : la musique du générique interprétée par Adele et écrite spécialement pour le film est elle aussi géniale.