samedi 30 juin 2012

Jean-Claude Mourlevat - La rivière à l'envers : Tomek

Tomek est un jeune orphelin de treize ans. Il tient l'épicerie de son village, une boutique où l'on peut trouver de tout et qui n'est jamais fermée. Mais un jour, une jeune fille y entre et lui demande s'il a de l'eau de la rivière Qjar. Tomek tombe presque instantanément amoureux d'elle mais n'a pas ce qu'elle recherche. Elle reprend sa route et lui décide de la retrouver et de l'aider à chercher cette rivière dont l'eau empêche de mourir. C'est l'occasion pour le jeune garçon de partir en voyage et de découvrir le vaste monde ; il n'a pas encore idée de toutes les aventures qui l'attendent.


J'avais tellement adoré Le chagrin du roi mort que je n'ai pas résisté à l'achat de ce roman une fois qu'on m'en a vanté les mérites. L'auteur confirme ici à mes yeux ses talents de conteur hors pair. J'ai retrouvé des thèmes qui m'avaient déjà séduite chez Mourlevat : la quête initiatique, la rencontre avec des personnages hors du commun, un enseignement empreint de sagesse distillé de manière subtile au fil du texte. Le livre est conseillé à partir de onze ans, l'intrigue est donc assez simple mais le récit recèle de poésie. On apprend à y savourer des bonheurs simples, on y trouve des moments touchants entre des personnages attachants, on en tire une jolie leçon sur la vie et le temps qui passe. J'ai encore une fois fait un très joli voyage grâce à M. Mourlevat. A la fin du roman, on se sent bien, on est conscient d'avoir vécu un moment privilégié.

– Dis-moi, grand-père Icham, as-tu déjà entendu parler de la rivière Tchar, ou Djar ...?
Le vieil homme, qui mâchouillait déjà sa barre de pâte de fruits, prit le temps d’y réfléchir, puis il répondit lentement :
– Je connais une rivière ... Qjar.
– C’est ça ! s’exclama Tomek. Qjar ! La rivière Qjar !
En le répétant, il lui sembla entendre la jeune fille le dire : “...de l’eau de la rivière Qjar.”
– Celle qui coule à l’envers ...continua Icham.
– Celle qui ...quoi ? bredouilla Tomek, qui n’avait jamais entendu parler d’une chose pareille.
– Qui coule à l’envers, articula Icham. La rivière Qjar coule à l’envers.
– A l’envers ? Qu’est-ce-que tu veux dire ? fit Tomek, les yeux écarquillés.
– Je veux dire que l’eau de cette rivière monte au lieu de descendre, mon petit Tomek. Ça t’en bouche un coin, ça !

Icham éclata de rire en voyant la tête que faisait son jeune ami, puis il eut pitié de lui et commença à expliquer :
– Cette rivière prend sa source dans l’océan, tu comprends ? Au lieu de s’y jeter, elle en sort. Un peu comme si elle aspirait l’eau de la mer.
À son début, elle est large comme un fleuve. On dit qu’à cet endroit-là des arbres étranges poussent sur ses rives. Des arbres qui s’étirent le matin et poussent des soupirs le soir. Et il y aurait là des variétés d’animaux tout à fait inconnues ailleurs.

vendredi 29 juin 2012

Jean-Paul Rouve - Quand je serai petit

Alors qu'il est en voyage, Mathias aperçoit au loin un gamin d'une dizaine d'années. Troublé, il a l'impression de se voir au même âge. Son étonnement augmente encore lorsqu'il découvre que le garçon s'appelle comme lui Mathias Esnard. Obsédé par cette quête de soi qui semble lui être proposée au passé, Mathias va se rapprocher de cette famille qui lui rappelle étrangement la sienne.


Jean-Paul Rouve signe un très joli film, à la fois étrange et touchant.Un film qui ne ressemble à nul autre. L'histoire est simple, complètement irréaliste alors qu'elle s'ancre dans un quotidien on ne peut plus réaliste. Mathias est fasciné par cette famille qui est un double de la sienne. Il y cherche des réponses, des fragments de souvenirs volés. Au début, comme nous spectateur, il est un peu paumé. Et puis, il se lie d'amitié avec Jean et avec Mathias. Une belle complicité naît entre Miljan Chatelain et Jean-Paul Rouve, ces moments sont de petits éclats de bonheur. C'est un film unique, d'une poésie rare et simple. Il n'y a finalement rien de compliqué à comprendre. C'est l'histoire d'un homme qui se cherche et certaines de ses rencontres l'aideront à se trouver et à avancer. Mais l'émotion est là : sobre et tout en retenue d'abord, elle se libère progressivement au fil du film, jusqu'à l'apothéose finale, le tout étant relayé par une BO douce et mélancolique signée Emilie Simon et par l'adagio d'Albinoni. Une belle réussite.

jeudi 28 juin 2012

Véronique Olmi - Le premier amour

"Emilie, Aix 1976. Rejoins-moi au plus vite à Gênes. Dario."
Alors qu'elle s'apprête à fêter ses vingt-cinq ans de mariage avec Marc, Emilie tombe par hasard sur cette annonce. Elle laisse tout en plan et prend sa voiture, direction l'Italie. Ce voyage sera l'occasion pour elle de faire un retour sur soi : la femme et la mère qu'elle a été, la vie qui a été la sienne, ses souvenirs de jeunesse. Quand a-t-elle été véritablement heureuse ? Pourquoi vouloir revoir celui qui a été son premier amour ?


Ce retour sur un parcours de femme m'a rappelé certaines pages d'Annie Ernaux, même si ici la démarche ne s'annonce pas autobiographique mais fictionnelle. Le style de Véronique Olmi est envoûtant et rend compte de la puissance fascinante exercée par les souvenirs. C'est un très beau livre, d'un rayonnement singulier et qui invite à réfléchir sur la vie telle qu'elle s'offre à nous. Vient un jour où l'occasion se présente pour tout un chacun de jeter un regard en arrière. Et alors, qu'est-ce qui reste ? Quelles images gardera-t-on de cette vie lorsqu'elle sera passée ? Quelques îlots éclatants qui surnageront au milieu de la fange du quotidien. Quelques morceaux d'arc-en-ciel qui iriseront l'eau grise. L'oubli aura sans doute lui aussi accompli son travail de sape et ça ne sera sans doute pas plus mal. Un livre touchant qui rend compte avec justesse de ce qui fait la saveur et la douleur d'une existence.

Je suis plus jeune aujourd'hui qu'à 20 ans. Mes désirs sont plus légers, mes a priori aussi. Je voulais me marier, avoir des enfants, un métier, des amis, des vacances et des Noël. J'ai eu tout ça. J'y ai mis tant d'énergie, tant d'énergie, de peur et d'attention, j'ai suivi tant de conseils, lu tant de livres, de magazines, passé tant d'heures au téléphone avec des amies qui avaient des enfants du même âge, des maris trop sérieux ou volages, trop présents ou pressés, et qui me donnaient des adresses de gîtes de France, de pensions pas chères, de baby-sitters sérieuses, de médecins compétents, de psychologues disponibles, on échangeait nos colères et nos fatigues mais jamais pour s'en débarrasser, toujours pour les surmonter, les faire passer pour une défaillance passagère, on avait tort. Rien de tout cela n'était passager, et j'ai perdu tant de temps à prendre sur moi que je suis passée par-dessus bord. Et aujourd'hui mes propres enfants, qui m'ont pris mon sang mon temps mes nuits mon insouciance mon argent mon nom, ces enfants n'étaient pas d'accord pour que j'aille en Italie ? N'étaient pas d'accord ? C'était à mourir de rire, vraiment !  
Au nom de quoi me serais-je retenue de partir ? Parce que ça n'était pas raisonnable ? Il fallait que je "ne fasse pas la jeune", que je sois la bonne gardienne de mon âge ? Combien de millions  étions-nous à avoir  exactement 48 ans ? Coralie Finel... France... Magali... Des classes entières de femmes de 48 ans, d'anciennes amoureuses, de jeunes grands-mères et de vieilles rêveuses. car nous rêvons. Nous rêvons au baiser qui réveille la princesse qui a tellement dormi que ses cheveux sont devenus longs comme son ennui, et une annonce dans le journal nous met soudain sur pied, le coeur traversé d'un courant électrique, les yeux grand ouverts, et tout ce qui n'est plus de notre âge, peut enfin arriver.

mercredi 27 juin 2012

Misfits (série)

Misfits, c'est une série géniale que j'ai découverte grâce à une amie récemment. C'est l'histoire de cinq jeunes gens qui ont fait diverses conneries, ils doivent donc effectuer des travaux d'intérêt général (comprenez des trucs chiants du genre : trier des vêtements, tenir compagnie à des personnes âgées, ramasser des ordures...). Mais une énorme tempête éclate au-dessus de leurs têtes dès le premier épisode avec des blocs de grêle énormes qui explosent un peu partout autour d'eux. Et puis la foudre leur tombe dessus, et c'est le début des ennuis.


J'avoue qu'au début, j'appréhendais un peu ce que j'allais regarder. Ces cinq jeunes sont dans l'ensemble des branleurs assez insupportables et m'ont d'abord paru assez antipathiques (notamment Nathan, qui est un vrai casse-couille, c'est rien de le dire). Mais petit à petit, j'ai commencé à les apprécier. La tempête les a dotés de super pouvoirs, qui vont leur créer beaucoup d'ennuis mais qui vont surtout faire tout l'intérêt de la série. On va voir évoluer nos cinq héros, ils vont apprendre à s'entraider, à s'envoyer bouler, à s'apprécier, à se tirer au mieux des mauvais pas dans lesquels ils se fourrent. Cette série devient très vite une drogue. Le scénario est vraiment soigné et admirable d'inventivité. La série mélange les genres : tantôt on se croit dans un film d'horreur pour ados, tantôt surgit une profondeur dans le traitement des personnages et les émotions affleurent : on peut passer d'une scène émouvante à une scène grotesque, c'est vraiment particulier, mais finalement génialissime. Le scénario prend de l'ampleur dans les saisons 2 et 3 et on a plaisir à découvrir des parodies de genres cinématographiques (les zombies, les jeux vidéos, les super héros...). Chacun y trouvera son compte. Seul bémol : les acteurs semblent s'être donné le mot pour presque tous quitter la série. Il ne devrait donc rester qu'un seul des membres initiaux de l'équipe pour la saison 4 qui sera diffusée à l'automne. Espérons que de belles surprises nous attendent néanmoins encore.

samedi 23 juin 2012

Sempiternellement

Je fais le geste d'effacer
L'usure du temps une fois
Les mots se délient et défont
L'amère bue jusqu'à la lie

La folie douce qui me lie
S'est écrasée sur le bitume
Sourire écarquillé sans dents
Cœur abîmé, tripes en berne

La lune cligne en attendant
D'une douleur bleu électrique
Le chat noir et mélancolique
Me fixe de son regard terne

Le ciel d'encre a noyé ma plume
Crissante et cisaillant les mots
S'habitue au goût métallique
De mon poème à fleur de sang

30.04.2012

vendredi 22 juin 2012

Maggie O'Farrell - L'étrange disparition d'Esme Lennox

Esme Lennox est enfermée depuis soixante et un ans à l'asile de Cauldstone. Mais l'établissement doit fermer prochainement et contacte sa petite-nièce Iris pour savoir si elle voudra bien la prendre en charge. Iris n'a jamais entendu parler de sa grande-tante, elle ne soupçonnait même pas son existence. Intriguée, elle vient à la rencontre de cette vieille dame. Malgré la peur qui l'étreint, une connivence s'établit entre les deux femmes. Dans ce roman à plusieurs voix, à travers des allers retours entre passé et présent, on découvre peu à peu quel a été le destin d'Esme.


C'est un livre tout en délicatesse. Empreint de pudeur, il laisse pourtant transparaître assez vite l'horrible réalité. Dans les années 1930, la vie des femmes n'était pas rose et refuser de rentrer dans le moule que la société avait façonné pour vous risquait d'avoir des conséquences plus que fâcheuses. J'ai aimé l'atmosphère de ce livre, la façon dont l'auteure lève progressivement le voile sur le mystère qui entoure le personnage d'Esme. Les personnages sont construits par petites touches, les drames qui les traversent nous les rendent un peu plus familiers, mais font en même temps qu'ils nous échappent. Les liens qui s'établissent entre Esme et Iris sont simples et forts. Quelque chose se crée bien au-delà des mots. Chacun des personnages est construit avec beaucoup de soin et porte en lui les traces d'un drame intime. Le tour de force réussi par l'auteure est de nous faire ressentir toute l'intensité de ce drame sans pour autant se montrer moralisatrice ou dogmatique. La seule chose qui m'a gênée est la fin : j'ai eu le sentiment qu'il manquait quelques pages, qu'on m'avait laissée en plan sans m'avoir donné toutes les clés.

"Pose ton livre, Esme, lui avait dit sa mère. Tu as assez lu pour ce soir."
Elle en était incapable, car les personnages et le lieu de l'action la captivaient. Soudain, voilà que son père se tenait devant elle, lui arrachait le livre, le fermait sans marquer la page. "Fais ce que dit ta mère, pour l'amour de Dieu", disait-il.
Elle se redressa, la rage bouillonnant en elle, et, au lieu de demander : "S'il te plaît, rends-moi mon livre", elle lâcha : "Je veux continuer l'école".
Ce n'était pas prévu. Elle savait que le moment était mal choisi pour aborder ce sujet, que la discussion ne servirait à rien, mais ce désir était aigu en elle, et elle n'avait pas pu s'en empêcher. Les mots avaient jailli de leur cachette. Sans son livre, ses mains se sentaient curieuses et inutiles, et le besoin de continuer l'école s'était exprimé par sa bouche à son insu.
Un silence s'empara de la pièce.(...)
"Non, répondit son père.
- S'il te plaît". Esme se leva, s'étreignant les mains pour les empêcher de trembler. "Mlle Murray dit que je pourrais obtenir une bourse et ensuite, peut-être, tenter l'université et...
- Ca ne servirait à rien, trancha son père en se rasseyant dans son fauteuil. Pas question que mes filles travaillent pour vivre."

jeudi 21 juin 2012

Jacques Audiard - De rouille et d'os

La bande-annonce de ce film était pleine de promesses et je l'attendais avec impatience. C'est l'histoire d'Ali qui est paumé, qui vient s'installer chez sa sœur à Antibes avec son gamin de cinq ans et qui bosse comme videur dans une boîte de nuit. Il y fait la connaissance de Stéphanie au milieu d'une bagarre. Il la raccompagne chez elle et lui laisse son numéro. Elle vit déjà avec un homme et on se dit qu'il y a peu de chances qu'il la rappelle. Mais Stéphanie, qui est dresseuse d'orques, a un accident dans lequel elle perd ses deux jambes. Elle rappelle Ali...


Il faut reconnaître que le pitch du film est un peu cliché : on sent le mélo arriver avec ses gros sabots. Mais ce qui importe, c'est la façon dont c'est fait et Audiard réussit l'exploit de ne pas tomber dans le larmoyant. J'ai beaucoup aimé ce film qui prend toute son ampleur à partir du moment où Ali et Stéphanie se "retrouvent" après l'accident de celle-ci. Ali est complètement brut de décoffrage. Cela le rend maladroit et touchant, énervant et craquant. Stéphanie incarne ce mélange de force et de fragilité que Marion Cotillard sait rendre palpable à l'écran. Le film alterne les moments de tendresse et les moments de tension. On n'en sort pas particulièrement reposé parce qu'il y a une scène notamment qui est insoutenable. Mais on passe un bon moment parce que les acteurs sont d'une justesse étonnante et que les émotions jaillissent à fleur de peau. La relation qui unit les deux personnages se construit à partir de détails infimes : quelques mots, un regard et la magie du cinéma fait le reste. J'aime ce cinéma qui se veut profondément réaliste mais qui en même temps sublime le réel et nous emporte ailleurs, plus haut qu'on ne pouvait l'espérer.

mercredi 20 juin 2012

Jean-Philippe Blondel - G 229

Ma première lecture de Jean-Philippe Blondel date de quelques mois maintenant, c'était Et rester vivant que j'avais apprécié mais dans lequel j'avais eu du mal à rentrer. J'ai savouré davantage G 229. Ce titre énigmatique renvoie tout simplement au numéro de la salle de classe qu'occupe le professeur d'anglais qu'est Jean-Philippe Blondel. Dans ce roman autobiographique, il revient sur son métier et notamment sur le plaisir qu'il lui procure. La narration suit le fil des pensées de l'écrivain et dessine en filigrane l'évolution d'une carrière, l'étrange rapport au temps qui s'instaure entre celui qui fut élève un jour et ceux à qui il enseigne aujourd'hui.


Le style de l'auteur m'a porté comme un raz-de-marée. Le fait que je me sente si concernée y a sans doute été pour beaucoup mais je trouve vraiment qu'il a réussi à donner à son expérience un caractère universel. Ce n'est pas un livre engagé, c'est le récit sincère d'un homme qui aime enseigner et qui cherche à décrypter cette drôle d'aventure humaine dans laquelle il est embarqué depuis de nombreuses années et dont il n'arrive pas à se lasser. L'écriture est portée par un amour des autres, une lumière, qui continue de vous accompagner une fois le livre fermé. On pourra dire ce qu'on veut sur les profs, les critiquer à tour de bras, médire tant qu'on veut... il n'empêche qu'on fait un beau métier. Un métier usant, fatigant, qui me fait pester à longueur de temps, mais un métier qui donne la sensation de se rendre utile à quelque chose, de se lever le matin pour accomplir quelque chose qui en vaut la peine. Et cela, on le ressent très fort à la lecture de Jean-Philippe Blondel, cela ressort dans un mélange de simplicité et d'évidence. Je ne sais pas si être prof, c'est faire partie d'un monde un peu à part mais j'en ai parfois l'impression. J'espère que beaucoup de gens liront ce livre et seront aussi émus que moi, même (et surtout) s'ils n'ont jamais fait ce métier.

Je terminerai avec un extrait qui a sonné très familièrement à mes oreilles :

On a rempli ses voeux l'an dernier et on n'y a pas prêté plus attention que ça, on s'est bercés d'illusions, on s'est dit, oh, il y aura bien un trou de souris par lequel je pourrais me glisser mais on s'est fourré le doigt dans l'oeil jusqu'au coude. On a découvert au début des vacances - horreur ! - qu'on était nommé en Picardie en Lorraine en Champagne-Ardenne ou dans la ceinture parisienne. Les numéros de département se sont mis à tourner dans notre tête  - 10, 08, 59, 54, 52, 77, et plus on approchait de Paris, plus ils se décomposaient, 9.3., 9.2., comme un compte à rebours. On a paniqué, on a failli avoir une syncope.


Les vacances ont eu leur effet lénifiant, on était avec son amoureux ou son amoureuse, sur la plage ou dans la campagne,  et on ânonnait des mots tendres et des pansements verbaux, mais non, ce n'est que pour une année et après tu auras ta mutation, moi je vais rester là mais je t'attendrai je te promets je le jure croix de bois croix de fer si je mens je vais en enfer, et puis tu deviens prof les vacances toutes les six semaines, ce ne sera pas long on se téléphonera textotera webcamisera tous les jours mon amour tout va bien aller, tu ne te rends pas compte de ta chance, fonctionnaire, par les temps qui courent, et puis plus tard, quand on aura des enfants ce sera génial tu seras en congé en même temps qu'eux.

On y a cru.
On y croit tous.

mardi 19 juin 2012

Katharina Hagena - Le goût des pépins de pomme

Iris a hérité de la maison de sa grand-mère, Bertha, à la mort de celle-ci. Elle ne sait pas encore si elle va la vendre mais pour régler la succession, elle revient à Bootshaven où s'entassent ses souvenirs. Dans cette grande maison, elle se remémore le passé : ses grands-parents, sa mère, ses tantes, ses cousines et cherche à comprendre certains événements enfouis qui refont surface.


C'est un récit assez particulier parce qu'il ne s'y passe à peu près rien. Que cela ne sonne pas comme un reproche, cela m'a fait un peu penser aux films de Sofia Coppola (même si je ne suis pas particulièrement fan de ce qu'elle fait). C'est un livre sur le rapport au passé, qui avance lentement et par circonvolutions. Il s'attache davantage à créer une atmosphère qu'à véritablement instaurer un suspense. Mais la lenteur de sa progression fait qu'on a tout de même envie d'éclaircir les mystères qui planent sur certains personnages. Je me suis sentie bien pendant cette lecture mais j'ai tout de même eu le sentiment de rester un peu en dehors. J'ai suspendu ma lecture pendant deux mois sans éprouver le besoin particulier de me replonger dans le livre ; j'ai aussi eu un mal fou à identifier les différents personnages par leur prénom. C'était comme une douce mélodie, agréable à écouter, mais dont je pouvais aussi tout à fait me passer. Un charme étrange et assez éphémère finalement. Mais tout de même une lecture empreinte de jolies réflexions.

A partir d’une certaine quantité de souvenirs, chacun devait finir par en être saturé. L’oubli n’était donc lui-même qu’une forme de souvenir. Si l’on n’oubliait rien, on ne pourrait pas non plus se souvenir de quoi que ce soit. Les souvenirs sont des îles qui flottent dans l’océan de l’oubli. Il y a dans cet océan des courants, des remous, des profondeurs insondables. Il en émerge parfois des bancs de sable qui s’agrègent autour des îles, parfois quelque chose disparaît. Le cerveau a ses marées. Chez Bertha, les îles avaient été submergées par un raz-de –marée. Sa vie gisait-elle au fond de l’océan ?

lundi 18 juin 2012

Game of thrones (série)

Ça commence avec trois hommes chaudement vêtus de peaux de bêtes qui vadrouillent dans la neige. L'un d'entre eux découvre des morceaux de corps éparpillés un peu partout et s'en va prévenir ses compagnons. Quand ils reviennent, les corps ont disparu. Mais les Marcheurs Blancs rôdent, tout proches, et en cette atmosphère de nuit tombante, on se doute que nos trois compères ne feront pas long feu.
Après les énigmatiques et angoissantes premières minutes de la série, on fait connaissance avec les Stark : Eddard, le père, est le Seigneur de Winterfell (c'est Sean Bean donc il a la grande classe). Il a six enfants : quatre garçons et deux filles. C'est un homme bon, généreux et fiable. Le roi Robert Baratheon vient lui rendre visite pour lui demander son aide parce que sa Main (i.e. son bras droit) est mort et il souhaite que ce soit son vieil ami qui prenne ce rôle. Mais ça veut dire pour Ned quitter Winterfell pour aller s'installer à King's Landing loin de sa famille. Malgré la réticence de sa femme, Ned se doit de faire son devoir et va quitter Winterfell avec ses deux filles, l'aînée étant destinée à épouser Joffrey, le fils de Robert et de Cersei Lannister. Le jeune Joffrey apparaît d'emblée comme un jeune homme peu sympathique, arrogant et cruel sans raison (et ce n'est qu'un début). Quand Ned part pour King's Landing, il ne sait pas encore dans quel guêpier il est parti se fourrer.



Cette série laisse la part belle aux intrigues de pouvoir : les Lannister, les Baratheon, les Stark, mais aussi les Targaryen (anciennement au pouvoir, le "roi fou" a été détrôné par Robert, aidé de Ned) sont les principales grandes familles qui convoitent avec plus ou moins d'intérêts le Trône de fer. Le premier épisode est un peu complexe car il donne un aperçu de toutes les forces en jeu mais ça s'ingurgite plutôt bien et il ne m'en a pas fallu beaucoup plus pour devenir totalement accro. Surtout une fois qu'on a vu la dernière scène de l'épisode 1, on peut difficilement se désintéresser de l'intrigue de l'épisode 2. Les personnages deviennent vite attachants, et déploient progressivement une complexité qui donne à chacun une part d'humanité, sans pour autant rendre les méchants sympathiques. Pour ma part, j'ai eu un coup de cœur pour Tyrion Lannister, le frère de la reine qui est un nain, et par conséquent a souffert d'être regardé de travers par son père. Mais il est remarquablement intelligent et se sort avec beaucoup d'adresse de tous les guêpiers dans lesquels il se fourre. La jeune Arya Stark, véritable garçon manqué, est elle aussi déterminée et pleine de ressources. Lord Varys et Lord Baelish qui font partie du conseil restreint du Royaume sont aussi des êtres fascinants du fait de leur ambivalence. Bref, c'est toute une galerie de personnages qu'on regarde évoluer, qu'on suit pas à pas et qu'on n'a plus envie de lâcher. Décidément, les séries made in HBO dépotent.

Winter is coming !

vendredi 15 juin 2012

Rêver rance

Brise. La ligne ment
Des maux qui sang volent
Dérapée ma carcasse
Chut, en un vieux tas d'os.

Désarticulé je
M'amenuise effaçant
Le regret. Balourdise
Brise l'alignement

Des mots qui s'envolent
Et m'éloignent de toi
Imperturbablement
S'agonisent et me noient

Coquille au vent battant
Des volets de mon cœur
Vent d'hiver ballottant
Des volées de bois vert

Mon amour à la noix
Comme les mots semeurs
Égrenés se gangrènent
Comme les maux se meurt.


24.04.2012

jeudi 14 juin 2012

Tim Burton - Dark shadows

Cela fait déjà quelques années que Tim Burton faiblit. Son cinéma a perdu de sa superbe parce qu'il peine à trouver de nouvelles sources d'inspiration. Si on ne garde que le fil ténu commun à chaque trame, on a un héros hors du commun (le plus souvent Johnny Depp), une jolie blonde (qui va mourir ou presque) qui fait battre son cœur et un univers onirique mi-effrayant, mi-fascinant qui flirte avec le rêve et la mort. Ça marche aussi bien pour Edward aux mains d'argent que pour Sleepy Hollow, Big Fish, Sweeney Todd ou Alice au pays des merveilles et pour les films d'animation comme L'étrange Noël de M. Jack ou Les noces funèbres.

Si Edward aux mains d'argent et Big Fish témoignent du génie incontestable de Tim Burton, ses dernières œuvres m'ont laissée de marbre. Alice au pays des merveilles est tellement aseptisé qu'il en devient grotesque. La version de Disney est mille fois plus fantaisiste et réussie. Au mieux, on s'extasie devant les jolis décors ; au pire, on soupire devant le jeu devenu lassant de Johnny Depp. J'ai de plus en plus de mal à voir où Tim Burton cherche à nous emmener : ni tristes ni drôles, ses films jouent sur un mélange de genre qui leur sied mal et peinent à trouver un ton juste. Alors on me dira : c'est Tim Burton, c'est unique. Unique oui, magique non.

Mais observons de plus près le dernier en date : Dark Shadows.
Le pauvre Barnabas Collins (Johnny Depp) n'ayant pas rendu son amour à la diabolique Angélique (Eva Green), celle-ci le lui fait payer en tuant ses parents, en faisant s'écraser au bas d'une falaise sa bien-aimée et en le transformant en vampire que les villageois vont enterrer vivants. Rien que ça.
Puis l'on se retrouve dans les années 1970 : une très jolie jeune fille sortie de nulle part : Victoria (Bella Heathcote), visiblement en décalage avec les jeunes de son âge (des hippies fumeurs de joints so happy), se rend dans un manoir sorti d'un autre temps pour être engagée comme gouvernante. La beauté fragile de l'actrice et la BO ne semblent alors augurer que du bon. L'arrivée dans la ville de Collinwood est elle aussi prometteuse : cette lumière unique propre aux films de Tim Burton, cette façon si poétique de mélanger les genres... Mais très vite, la mayonnaise cesse de prendre. Au manoir où nous avons suivi Victoria, les descendants de Barnabas se veulent une famille haute en couleurs. L'ado en pleine crise, le petit garçon orphelin de sa mère mais qui continue à la voir, la psy dont on ne sait pas trop à quoi elle sert (Tim Burton a d'habitude de meilleures inspirations pour les rôles qu'il donne à sa femme)... et dans ce joyeux bordel va refaire surface notre Barnabas, déterré par inadvertance par des ouvriers de chantier qui le paieront de leur vie.
On imagine aisément qu'Angélique n'est pas loin et qu'elle va revenir tourmenter ce cher Barnabas : le film raconte donc leurs affrontements sur fond de querelles familiales seulement esquissées. Il semblerait que Tim Burton cherche à nous faire rire en faisant de Barnabas un Jacquouille du XXème siècle.

Pour ma part, j'ai trouvé cela assez ennuyeux : les scènes qui se veulent amusantes nous font au mieux sourire, les personnages sont traités de manière beaucoup trop superficielle alors qu'il y aurait eu matière à leur donner de la profondeur. Du coup, aucun d'entre eux n'est véritablement attachant. Aucune émotion véritable ne se dégage de ce film. A la sortie du cinéma, sentiment de profond gâchis : comment peut-on réaliser un film esthétiquement réussi sans qu'il ait une once d'âme ? C'est le pari que relève aujourd'hui Tim Burton, confirmant la contre-performance d'Alice au pays des merveilles. Dommage.

mercredi 13 juin 2012

Boileau-Narcejac - Sans Atout et le cheval fantôme

François Robion, dit Sans-Atout, est un jeune lycéen parisien qui est très attaché au château de Kermoal. La grande bâtisse bretonne qui appartient à son père est le théâtre de souvenirs d'enfance qui lui sont chers. Mais le château est vieux et tombe en ruines, et Monsieur Robion songe à le vendre car les travaux coûteraient trop cher. François est bien décidé à tout faire pour que ce projet ne se réalise pas. De retour en Bretagne, il retrouve les Jaouen (les gardiens du château) qui sont inquiets. Un étrange phénomène se produit tous les soirs à minuit à Kermoal : un cheval invisible vient jusque sous les fenêtres puis repart. Il laisse par endroits des empreintes de pas. Tandis que François est bien décidé à découvrir ce que cache ce mystère, il fait visiter le château à d'éventuels acquéreurs.

Ce livre a longtemps trôné dans la bibliothèque chez mes parents mais je n'avais jamais eu envie de le lire. Et puis comme j'avais des Cinquièmes en groupe de lecture et que cette série était disponible au collège, j'ai tenté. C'est un livre qui me rappelle mes lectures de jeune ado : une enquête à mener, un jeune garçon dégourdi, un mystère à première vue surnaturel à élucider... Les ingrédients classiques d'un roman jeunesse. J'ai bien aimé cette lecture : Sans-Atout est un personnage plutôt sympathique et le suspense est mené de façon à  nous amener vers un scénario qui présente peu de surprises mais qui reste efficace. Je regrette juste qu'on reste un peu trop à la surface des personnages ; j'aurais aimé que notre héros soit un peu plus complexe... et aussi qu'il y ait un peu de personnages féminins charismatiques. Parce que tout de même, le roman date des années 1970 et bonjour les stéréotypes ! Madame Robion et Madame Jaouen sont respectivement la maman poule et la parfaite maîtresse de maison, incarnations idéales de la femme dévouée à son foyer. Une touche de subtilité dans le traitement psychologique (et un peu de parité) aurait donc été la bienvenue.

Sournoisement, le cahier avait disparu. Comme ces bêtes de la mer qui prennent la couleur du sable ou des rochers, il s’était camouflé en cahier de maths, ou en cahier de textes. Un jour, le professeur de François avait improvisé un long développement sur l’ordre et avait conclu en disant :
« L’ordre, c’est, dans la vie, le meilleur atout ! »
Et François avait été aussitôt surnommé « Sans Atout ». Le sobriquet lui avait plu. D’abord, il avait valeur d’excuse. « OEil de Faucon », cela signifie qu’on a une vue perçante... « Nez de cuir », qu’on a un morceau de cuir à la place du nez... Et « Sans Atout », qu’on est privé de cette qualité maîtresse, de cet atout maître, l’ordre. C’est ainsi. On n’y peut rien. Inutile de s’appliquer, de faire un effort. Sans Atout on est, Sans Atout on reste !
Mais attention ! Sans Atout, cela veut dire autre chose. Quand on joue aux cartes et qu’on a en main les as et les figures, quand on est par conséquent sûr de gagner, on déclare : Sans Atout. Et on fait tous les plis. François, doué d’une intelligence exceptionnelle, était premier partout, ou presque. A quinze ans, il dominait sans effort la classe de première, et quand ses camarades l’appelaient Sans Atout, c’était avec indulgence et admiration. En revanche, à la maison, on continuait à le traiter de gamin.


dimanche 3 juin 2012

La Couleur des sentiments (le film)

J'ai lu l'été dernier le très beau roman de Kathryn Stockett : La couleur des sentiments mais je n'en avais toujours pas vu l'adaptation cinématographique. J'appréhendais un peu la bande-annonce "rose bonbon" mais j'ai finalement été agréablement surprise. Le film restitue avec fidélité le livre : la jeune Skeeter revient de la fac et rêve de devenir écrivain. A vingt-trois ans, elle n'a toujours pas de fiancé et sa mère est obsédée par l'idée de la marier. Ses copines sont déjà mariées et mères de famille et passent le plus clair de leur temps à organiser des ventes aux enchères pour venir en aide aux enfants d'Afrique. Elles sont toutefois des femmes au foyer plus ou moins accomplies puisqu'elles ont des bonnes noires qui s'occupent de la cuisine, du ménage et de leur progéniture. C'est le cas d'Aibileen, qui aime beaucoup s'occuper des enfants : elle prodigue tendresse et amour à Mae Mobley, que sa mère (une des amies de Skeeter) délaisse. Lorsqu'elle est engagée dans un journal local pour tenir une chronique de conseils ménagers, Skeeter fait appel à Aibileen pour l'aider. Mais elle a envie d'écrire sur un sujet qui lui tient à cœur et propose à la bonne de raconter ce que ça fait d'élever des enfants blancs qui, un jour, deviendront ses maîtres...


 Les personnages sont tout à fait à l'image de leurs originaux de papier. On appréciera la peinture fidèle qui est faite du personnage de Hilly, tout à fait exécrable, la douceur d'Aibileen, le caractère explosif de Minny. Ceux qui ont aimé le livre auront plaisir à retrouver cette atmosphère à l'écran. Ceux qui ne l'ont pas lu seront touchés par la simplicité et le courage de ces femmes qui apprennent à dire ce qu'elles ont sur le cœur.

samedi 2 juin 2012

Vers quelle autre rive

-Prisonnier de l'écheveau des mots entortillés
Bien malin qui saura t'en libérer
A coups de rimes désordonnées
En vrac allonger sur le papier
Les fragments d'un souvenir
Qui déjà est en train de pourrir


-Je t'abandonne le soin de souffrir
Tu sais à quoi t'en tenir
Nous sommes quittes, mon cœur
Et je m'ennuie de ta douleur
Voudrais te frapper quand tu pleures
Il est temps d'aller voir ailleurs


-Il me paraît si loin le temps
Où j'avais l'illusion de vivre
Mais les mots qui me rendaient ivre
Où sont-ils enfuis à présent ?


-Ta nostalgie au rabais
Ne fait plus le poids face au vide
Renonce à ce rêve insipide
Garde pour d'autres ce couplet


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Puisque je ne comprends plus rien
C'est aussi bien que toi non plus
Je balaie d'un revers de main
Ce poème dont je ne veux plus.

24.04.2012