Esme Lennox est enfermée depuis soixante et un ans à l'asile de Cauldstone. Mais l'établissement doit fermer prochainement et contacte sa petite-nièce Iris pour savoir si elle voudra bien la prendre en charge. Iris n'a jamais entendu parler de sa grande-tante, elle ne soupçonnait même pas son existence. Intriguée, elle vient à la rencontre de cette vieille dame. Malgré la peur qui l'étreint, une connivence s'établit entre les deux femmes. Dans ce roman à plusieurs voix, à travers des allers retours entre passé et présent, on découvre peu à peu quel a été le destin d'Esme.
C'est un livre tout en délicatesse. Empreint de pudeur, il laisse pourtant transparaître assez vite l'horrible réalité. Dans les années 1930, la vie des femmes n'était pas rose et refuser de rentrer dans le moule que la société avait façonné pour vous risquait d'avoir des conséquences plus que fâcheuses. J'ai aimé l'atmosphère de ce livre, la façon dont l'auteure lève progressivement le voile sur le mystère qui entoure le personnage d'Esme. Les personnages sont construits par petites touches, les drames qui les traversent nous les rendent un peu plus familiers, mais font en même temps qu'ils nous échappent. Les liens qui s'établissent entre Esme et Iris sont simples et forts. Quelque chose se crée bien au-delà des mots. Chacun des personnages est construit avec beaucoup de soin et porte en lui les traces d'un drame intime. Le tour de force réussi par l'auteure est de nous faire ressentir toute l'intensité de ce drame sans pour autant se montrer moralisatrice ou dogmatique. La seule chose qui m'a gênée est la fin : j'ai eu le sentiment qu'il manquait quelques pages, qu'on m'avait laissée en plan sans m'avoir donné toutes les clés.
"Pose ton livre, Esme, lui avait dit sa mère. Tu as assez lu pour ce soir."
Elle en était incapable, car les personnages et le lieu de l'action la
captivaient. Soudain, voilà que son père se tenait devant elle, lui
arrachait le livre, le fermait sans marquer la page. "Fais ce que dit ta
mère, pour l'amour de Dieu", disait-il.
Elle se redressa, la rage bouillonnant en elle, et, au lieu de demander :
"S'il te plaît, rends-moi mon livre", elle lâcha : "Je veux continuer
l'école".
Ce n'était pas prévu. Elle savait que le moment était mal choisi pour
aborder ce sujet, que la discussion ne servirait à rien, mais ce désir
était aigu en elle, et elle n'avait pas pu s'en empêcher. Les mots
avaient jailli de leur cachette. Sans son livre, ses mains se sentaient
curieuses et inutiles, et le besoin de continuer l'école s'était exprimé
par sa bouche à son insu.
Un silence s'empara de la pièce.(...)
"Non, répondit son père.
- S'il te plaît". Esme se leva, s'étreignant les mains pour les
empêcher de trembler. "Mlle Murray dit que je pourrais obtenir une
bourse et ensuite, peut-être, tenter l'université et...
- Ca ne servirait à rien, trancha son père en se rasseyant dans son
fauteuil. Pas question que mes filles travaillent pour vivre."
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