vendredi 14 septembre 2012

Hervé Guibert - A l'ami qui ne m'a pas sauvé la vie

Dans ce roman autobiographique, l'auteur revient sur la mort de son ami Michel Foucaud - Muzil dans le livre - qui était atteint du sida. Quelques années après, il se découvre atteint de la même maladie. C'est un peu comme s'il avait vécu sa mort par anticipation à travers celle de Muzil. A la fin des années quatre-vingts, le Sida était encore une maladie très mal connue et qui touchait de plein fouet la communauté gay. Dans ce roman, Hervé Guibert tient en quelque sorte le journal de sa maladie, évoquant ce drôle de rapport à la mort instauré par le Sida :  les moments de souffrance, les maigres espoirs de guérison, et la nécessité de l'écriture.


A l'ami qui ne m'a pas sauvé la vie est un livre qui a avant tout valeur de témoignage. C'est surtout en cela que je l'ai trouvé intéressant. Il faut imaginer une époque où le Sida contaminait beaucoup de monde parce qu'on ne savait pas encore comment s'en protéger. Les gens voyaient leurs proches tomber malades, souffrir et s'affaiblir jusqu'à la mort. On tâtonnait à la recherche de vaccins, on soignait les séropositifs en leur  faisant plus de mal que de bien. Lorsque ce livre est paru, ça a été comme un pavé dans la mare. Déjà parce que Hervé Guibert y révèle de manière explicite que Michel Foucaud est mort du Sida, ensuite parce qu'il y évoque sans tabous le sexe, la mort, et surtout la dégradation de son corps entraînée par la maladie. J'ai aimé le ton incisif de Guibert, un peu moins ses phrases à rallonge. Le livre n'est pas palpitant mais offre un regard saisissant sur la maladie et la mort. Pour plus d'infos, vous pouvez aller voir l'interview de Hervé Guibert par Bernard Pivot dans Apostrophes.

« Le lendemain, j'étais seul dans la chambre avec Muzil, je pris longuement sa main comme il m'était parfois arrivé de le faire dans son appartement, assis côte à côte sur son canapé blanc, tandis que le jour déclinait lentement entre les portes-fenêtres grandes ouvertes de l'été. Puis j'appliquai mes lèvres sur sa main pour la baiser. En rentrant chez moi, je savonnai ces lèvres avec honte et soulagement, comme si elles avaient été contaminées, comme je les avais savonnées dans ma chambre d'hôtel de la rue Edgar-Allan-Poe après que la vieille pute m'eut fourré sa langue au fond de la gorge. Et j'étais tellement honteux que je pris mon journal pour l'écrire à la suite du compte rendu de mes précédentes visites. Mais je me retrouvais encore plus honteux une fois que ce sale geste fut écrit. De quel droit écrivais-je tout cela ? De quel droit faisais-je de telles entailles à l'amitié ? Et vis-à-vis de quelqu'un que j'adorais de tout mon cœur. Je ressentis alors, c'était inouï, une sorte de vision, ou de vertige, qui m'en donnait les pleins pouvoirs, qui me déléguait à ces transcriptions ignobles et qui les légitimait en m'annonçant, c'était donc ce qu'on appelle une prémonition, que j'y étais pleinement habilité car ce n'était pas tant l'agonie de mon ami que j'étais en train de décrire que l'agonie qui m'attendait, et qui serait identique, c'était désormais une certitude qu'en plus de l'amitié, nous étions liés par un sort thanatologique commun. »

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