lundi 17 septembre 2012

Samuel Beckett - Oh les beaux jours

Au début de la pièce, Winnie est enfouie dans le sol jusqu'à la taille. Elle est réveillée par une sonnerie stridente, elle commence alors sa journée en soliloquant. Elle se pomponne et fait l'inventaire de ce que contient son sac. Elle s'adresse par moments à Willie son mari, dissimulé par le monticule et qui s'exprime le plus souvent par monosyllabes.


Oh les beaux jours est à mes yeux l'un des plus beaux textes de théâtre qui existe. Beckett a le génie de savoir dépeindre la condition humaine dans ce qu'elle a de plus tragique et de plus comique. Winnie est à la fois touchante et pathétique : elle a un côté irritant de petite vieille qui radote, et en même temps elle dégage une énergie incroyable. Elle se tient en équilibre au bord de l'abîme du désespoir, comme un vaillant petit funambule. Un rien suffirait à la faire vaciller, mais elle sait se contenter de peu pour passer le temps. La pièce est aussi le théâtre de réflexions sur l'amour, la solitude et la mort. Que devient l'amour à l'épreuve du temps ? Qu'est-ce qui reste à la fin ? Le titre fait référence à un sublime poème de Verlaine : "Colloque sentimental", avec lequel il partage les thèmes de la mélancolie et du néant. Les personnages de Beckett sont les spectres de ce qu'ils ont été, mais des spectres qui se meuvent encore avec un reste d'humanité qui les rend touchants. En même temps, ils sont de véritables caricatures : Winnie est insupportablement étouffante et Willie est à peine plus civilisé qu'un ours. Tandis que le temps passe et nous dégrade peu à peu, qu'est-ce qui reste encore pour nous faire tenir ? Les souvenirs (mais eux-mêmes s'estompent un peu plus chaque jour). Et finalement si l'on parle, ce n'est que dans l'espoir que quelqu'un nous entende. D'une beauté âpre et terrible, Oh les beaux jours est une pièce aux facettes multiples, qui nous ramène à la juste mesure de notre existence dont la densité s'étiole sans qu'il faille pour autant perdre le sourire. C'est d'ailleurs l'un des leitmotivs de Winnie : "Oh le beau jour encore que ça aura été, encore un !"

 Winnie - Ah oui, si seulement je pouvais supporter d’être seule, je veux dire d’y aller de mon babil sans âme qui vive qui entende. (Un temps.) Non pas que je me fasse des illusions, tu n’entends pas grand’chose Willie, à Dieu ne plaise. (Un temps.) Des jours peut-être où tu n’entends rien. (Un temps.) Mais d’autres où tu réponds. (Un temps.) De sorte que je peux me dire à chaque moment, même lorsque tu ne réponds pas et n’entends peut-être rien, Winnie, il est des moments où tu te fais entendre, tu ne parles pas toute seule tout à fait, c’est-à-dire dans le désert, chose que je n’ai jamais pu supporter - à la longue. (Un temps.) C’est ce qui me permet de continuer, de continuer à parler s’entend. Tandis que si tu venais à mourir - (sourire) - le vieux style ! - (fin du sourire) - ou à t'en aller en m'abandonnant, qu'est-ce que je ferais alors, qu'est-ce que je pourrais bien faire, toute la journée, je veux dire depuis le moment où ça sonne, pour le réveil, jusqu'au moment où ça sonne, pour le sommeil ? (Un temps.) Simplement regarder droit devant moi, les lèvres rentrées ?

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